Manifeste du surréalisme – André Breton

André Breton – 1924

Aux environs de sa vingtième année, l’homme abandonne son imagination et la liberté d’en faire usage au profit d’une attitude réaliste et étriquée. Seuls les fous échappent à l’étouffement de l’imagination par la logique. Plus encore que le matérialisme, qui n’exclut pas une certaine hauteur, le réalisme est insupportable et contraire à toute élévation intellectuelle et morale. 

Freud a montré que des forces invisibles légitiment l’exploration humaine par d’autre voie que la logique. Son travail conduit à s’interroger sur le rêve : n’est-il pas tout aussi réel que ce que nous percevons à l’état de veille ? Comment conclure à la discontinuité qui semble séparer les rêves alors que leurs causes profondes sont inconnues ? L’état de veille correspond à des capacités humaines limitées puisqu’il ne permet pas d’expliquer certaines émotions qui s’y produisent et dont les raisons sont liées à celles des rêves. On ne doit pas avoir de mépris pour le merveilleux dont s’éloigne l’enfant en sortant de l’univers des comptes de fées. Il devrait y avoir un merveilleux pour adultes.

L’expérience surréaliste peut consister dans la vision d’images absurdes, lors d’un rêve ou d’un état de relâchement, dont l’acuité permet néanmoins la restitution sous forme de mots ou de dessins par celui qui l’a vécue. Certains connaissent un tel foisonnement d’idées qu’ils éprouvent le besoin d’écrire. André Breton et Philippe Soupault se sont livrés à des expériences de pensée parlée consistant à écrire sans que l’esprit critique n’intervienne, des pensées qui leur ont traversé l’esprit. Les résultats obtenus contenaient de fortes analogies de style, les principales différences ne consistant que dans l’humeur de chacun. 

En hommage à Apollinaire, inventeur du terme, ils décidèrent d’appeler surréalisme plutôt que supernaturalisme ce nouveau mode d’expression et de lui en donner la définition suivante : 

Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.

Sur le plan philosophique : Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. Ont fait acte de SURREALISME ABSOLU MM. Aragon, Baron, Boiffard, Breton, Carrive, Crevel, Delteil, Desnos, Eluard, Gérard, Limbour, Malkine, Morise, Naville, Noll, Péret, Picon, Soupault, Vitrac.

De nombreux autres artistes tels que Sade, Chateaubriand, Poe, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Jarry, Saint-John Perse ont pu être surréalistes mais en conservant des idées préconçues et en se livrant à un certain filtrage que les surréalistes doivent abandonner.

Secrets de l’art magique surréaliste : 

Conseils pour s’adonner au surréalisme dans différents domaines : 

  • composition surréaliste écrite : écrire sans réfléchir et abondamment. En cas de rédaction trop suivie, choisir une lettre au hasard comme initiale du prochain mot et repartir,

  • pour ne plus s’ennuyer en compagnie : prendre l’air absent et dire des banalités révoltantes en cas de sollicitation,

  • pour faire des discours : faire des promesses à la veille d’une élection, sans vouloir tenir quoi que ce soit, en étant porté par la revendication générale.

  • pour écrire de faux romans : utiliser pour les personnages des noms disparates caractérisés par leurs seules majuscules. Ils se comporteront avec la même aisance envers les verbes actifs que le pronom impersonnel il envers les mots comme : pleut, y a, faut, etc. Peut importe l’intrigue et sa conclusion. Ce faux roman passera pour véritable.

Le dialogue a aussi sa version surréaliste : alors que dans le dialogue traditionnel, chacun cherche à s’imposer en n’utilisant que des accroches superficielles portant sur le choix des mots et des images, le surréalisme poétique laisse chaque interlocuteur développer son soliloque, sans amour-propre et sans vouloir imposer de thèse, les mots et les images tenant lieu de tremplin à l’esprit de celui qui écoute.

Le surréalisme est une pratique qui, telle une drogue, conduit à l’accoutumance et fait apparaitre des images. Le rapprochement de deux idées éloignées produit une étincelle que la conscience se contente de percevoir sans en être à l’origine. Cette lumière nouvelle et intense est l’œuvre de l’activité surréaliste. Ces images tirent avant tout leur intérêt de leur caractère paradoxal et arbitraire. Le surréalisme est aussi une résurgence de l’enfance, stade le plus proche de la vraie vie. Il n’existe pas de norme pour le surréalisme qui peut se trouver dans tous les moyens d’expression : collage, figures de styles, philosophie, théâtre, science. Le vrai scientifique qui, sans prétention altruiste, emprunte un chemin déraisonnable pour parvenir là où les autres ont échoué s’adonne au surréalisme.

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