
Le roman, Le Bâtard de Nazareth est un Évangile séculier, une histoire dans laquelle Jésus est humain et où les miracles qu’il accomplit s’expliquent de façon rationnelle.
De quoi est-il question ?
Jésus est le fils de Marie et d’un soldat romain qui l’a violée. Joseph, un charpentier veuf, a épousé Marie pendant sa grossesse mais ne peut rien contre le statut de mamzer, bâtard, de son fils adoptif ni contre celui de sota, de sa femme.
En lien avec : Le Bâtard de Nazareth – Métin Arditi
Jésus est le fils de Marie et d’un soldat romain qui l’a violée. Joseph, un charpentier veuf, a épousé Marie pendant sa grossesse mais ne peut rien contre le statut de mamzer, bâtard, de son fils adoptif ni contre celui de sota, de sa femme. À l’âge de cinq ans, Jésus est traité de mamzer par son seul ami et prend conscience du sens de ce mot. Pour calmer sa révolte contre la loi juive, Marie et Joseph font le voyage de Nazareth à Jérusalem pour que Jésus contemple la grandeur du Judaïsme. Sur le parvis du Temple, des religieux prônent l’application stricte de la Loi, garante de l’unité et de la force du judaïsme. Jésus intervient pour en défendre une application plus humaine envers les exclus. Ces propos le trahissent : il est un mamzer, sa mère une sota. La famille est chassée du parvis. Cette terrible humiliation nourrit la révolte de l’enfant.
Jésus est maintenant un charpentier mais aussi un guérisseur. Son métier très physique nécessite de savoir soulager les douleurs et réduire les fractures. Au soir de sa vie, Joseph lui fait promettre de ne plus remettre en cause la Loi. Marie est désormais veuve. Un rabbin proche de Joseph lui propose que sa nièce de quatorze ans, Marie venant de Magdala, vive au sein du foyer pour l’aider dans les tâches ménagères. Entre Jésus et Marie de Magdala nait un sentiment puissant puis, rapidement, une relation amoureuse.
Jésus entend parler de Jean, un homme qui prêche et donne le baptême aux fidèles dans le Jourdain. Il assiste à une séance au cours de laquelle il est lui même baptisé. Jean sait que la police de Hérode Antipas est sur le point de l’arrêter. Il voit en Jésus celui qui doit venir et lui demande de prendre sa suite. Jésus accepte et tient promesse. Assisté des amis de Jean qui deviennent ses apôtres, Jésus prêche devant des foules de plus en plus denses. Ses sermons s’adressent à tous y compris aux exclus : mamzer, lépreux, prostituées, infirmes…
Judas, venant d’un village de mamzer nommé Kariyot, approche un jour Jésus. Il veut créer une secte appliquant la loi juive de façon plus humaine. Jésus, lié par la promesse faite à son père, ne peut participer à ce projet mais accepte de se rendre à Jérusalem demander aux Sanhedrin une moindre rigueur dans l’application de la Loi. Accompagné de ses apôtres et d’une foule de disciples, il entre dans la ville. Sur le parvis du Temple, pris de fureur, il chasse des marchands dont la présence, tolérée par les religieux, lui est insupportable. Ayant échappé au autorité, il célèbre la Pâque avec ses apôtres avant d’être finalement arrêté.
Jésus comparait devant le Sanhedrin, non comme il l’espérait pour parler de l’interprétation de la Loi, mais pour répondre du crime de blasphème. Il plaide pourtant sa cause. Caïphe, le Grand Prêtre, ne veut rien entendre : la Loi est la garante intangible de l’unité du peuple juif et de l’accomplissement de sa mission d’exemplarité vis à vis des autres peuples. Reconnu coupable, Jésus est conduit à Pilate pour le désordre qu’il a créé au Temple, condamné à la croix et exécuté le matin même.
Judas persuade les apôtres et les disciples de Jésus qu’il s’est sacrifié pour créer une nouvelle religion, que le serment fait à son père ne lui permettait pas de contredire la Loi et que son geste était le seul qui lui était permis pour servir cette cause sans se parjurer. Judas demande aux apôtres et aux disciples de répandre la nouvelle de la résurrection de Jésus, d’affirmer qu’ils ont parlé avec lui après son supplice, de témoigner de ses actions en les transformant en miracles et de poser ainsi les jalons d’un nouvelle religion. Il en prendra la tête.
Un roman offensant ?
Certains lecteurs chrétiens ont été choqués par l’ouvrage. Par l’histoire qui contredit les Évangiles canoniques et qui fait de Jésus un homme comme les autres mais aussi par le mot bâtard utilisé dans le titre. Le roman est-il pour autant offensant ? À part quelques excessifs, les chrétiens ne sont généralement pas choqués par ceux qui ne partagent pas leur foi. Ne pas partager la foi chrétienne signifie penser que Jésus n’est pas le fils de Dieu, que Marie n’est pas vierge, que son fils a été a été conçu hors mariage et que les miracles qu’on lui attribue ont une explication rationnelle ou ont été inventés. C’est exactement ce dont il est question dans le roman.
Il peut paraitre également choquant de lire que Marie a été violée par un soldat romain. Si on ne croit pas dans la divinité du père de Jésus, il faut bien qu’il y ait eu un géniteur. L’hypothèse du viol n’est historiquement pas étayée mais, s’agissant d’un roman, tout est permis. Elle préserve néanmoins Marie de tout désir sexuel, ce qui la rapproche de la virginité. Et comment blâmer une femme d’avoir été victime d’un tel crime ? S’en trouver choqué revient à attribuer aux femmes violées une part de responsabilité dans leur malheur et à ne pas les considérer pleinement comme des victimes.
Jésus en revanche connait le désir pour Marie de Magdala. L’hypothèse n’est pas nouvelle. Il est en effet étonnant que le célibat supposé de Jésus ne soit pas explicitement mentionné dans les Évangiles, alors que dans la communauté juive du Ier siècle, un homme non marié faisait exception. Si on ne croit pas dans la divinité de Jésus, pourquoi lui refuser d’aimer une femme. Le seul motif de scandale est que Jésus et Marie de Magdala ne se marient pas, comme le lui reproche un rabbin dans le roman.
Enfin, le mot bâtard du titre du roman, remplacé par mamzer dans le corps du texte, peut déranger. Pourtant, que l’on partage ou non la foi chrétienne, pendant son enfance, Jésus était un enfant conçu hors mariage, son ministère ne débutant que bien plus tard. Il est d’ailleurs étonnant que les Évangiles n’évoquent pas cet aspect de sa vie. Par ailleurs, le mot bâtard désigne un enfant conçu hors mariage et son caractère péjoratif vient du jugement populaire qui fait porter à l’enfant le poids du prétendu péché d’adultère de ses parents. L’emploi de ce mot interroge le lecteur d’aujourd’hui. Être choqué par l’emploi du mot bâtard implique de faire porter à l’enfant la responsabilité des actes de ses parents.
Enfin, il parait utile de rappeler que le mot bâtard était encore utilisé en France il y a une cinquantaine d’années, la mère d’un bâtard étant quant à elle qualifiée de sorcière ou de fille-mère dans le meilleur des cas. Être choqué par ce mot revient à lui conserver le mépris qu’il véhicule pour les enfants nés hors mariage.
Se sentir offenser par ce roman peut ainsi avoir trois origines non exclusives les unes des autres :
l’intolérance avec ceux qui ne partagent pas la foi chrétienne,
la condamnation des femmes victimes de viol, en considérant que leur droiture morale est mise en cause par le crime dont elle sont les victimes,
la condamnation des enfants nés hors mariage en leur faisant porter le poids d’un péché pour lequel ils n’on aucune responsabilité.
A quoi sert la loi ?
La question fondamentale du livre porte sur le but de la loi. Il s’agit en l’occurrence de la loi juive mais la question est valable pour toutes les sociétés. Elle est universelle.
On voit s’opposer dans le roman, d’une part, les religieux pour lesquels la loi doit garantir l’unité, la force et la protection de la société juive, d’autre part, Jésus, pour qui la loi doit être juste et humaine.
L’angle sous lequel est posée cette question est celui des enfants nés hors mariage. Les docteurs de la loi et le Sanhédrin considèrent que le péché d’un homme et d’une femme non mariés doit se transmettre à leur descendance sur dix générations et ce, quelles que soient les circonstances, même pour un viol. Jésus défend l’idée qu’il s’agit là d’une injustice et qu’un enfant n’est pas responsable des choix de ses parents ni des drames qu’ils ont vécus.
Quelle est la raison d’être de cette loi ? Elle est facile à justifier. Un enfant né hors mariage risque de ne pas grandir au sein d’une famille stable, capable de lui inculquer les valeurs de la société qu’il pourra à son tour transmettre à sa propre descendance dans les mêmes conditions. Pire encore, la famille de chacun des parents risque de se disloquer, condamnant également les enfants légitimes à connaitre l’instabilité. Enfin, en violant la Loi, ses parents ont montré le peu d’importance qu’ils lui accordaient. Comment, dans ces conditions, attendre la moindre gratitude de ces enfants envers la société et la moindre volonté de se soumettre aux lois qui la sous-tendent ? Or, si les valeurs de la société ne sont plus transmises au fil des générations, si l’attachement aux lois qui traduisent ces valeurs s’érode, la société est menacée d’affaiblissement, voire de disparition. Pour que la communauté conserve sa cohérence, la solution retenue est de mettre en quarantaine les enfants illégitimes et leur descendance, de les frapper du sceau de l’infamie pour les mettre à l’épreuve. Pendant dix générations, ils devront montrer leur attachement à la Loi. Cette disposition permet aussi de dissuader les amoureux clandestins de passer à l’acte.
Les enfants nés hors mariage sont-ils coupables de quoi que ce soit ? Pour les partisans d’une application stricte de la loi, là n’est pas la question. La société est plus importante que les individus qui la constituent. Les descendants ostracisés sont condamnés au malheur alors qu’ils ne sont coupables de rien d’autre que d’être nés ? Qu’importe, l’objectif est de renforcer la société ; ses membres connaitront alors le bonheur de vivre dans une communauté puissante et unie. Cette règle est-elle juste ? La réponse est affirmative si le juste est ce qui pérennise et renforce la société.
Face à ce point de vue, Jésus défend une position qui peut se résumer en deux principes :
un être humain doit être considéré pour ce qu’il fait et non pour ce qu’ont fait ses parents,
tout être humain a droit au bonheur,
La société risque-t-elle de s’affaiblir, de se déliter ? Là n’est pas la question. Les individus sont plus importants que la société qu’ils constituent. Il existe un postulat implicite : le bonheur de chacun garantira à la société qui le rend possible sa force et sa stabilité. Ces principes sont-ils justes ? La réponse est affirmative si le juste est ce qui permet à chacun de faire usage de son droit au bonheur.
Cette tension entre la préservation de la société par des lois strictes et le droit au bonheur de chaque individu habite toujours les communautés humaines. Pour illustrer cette tension aujourd’hui, on peut citer les questions suivantes qui font débat : chaque individu doit-il se soumettre par loyauté et patriotisme aux gouvernants de son pays ou peut-il les choisir, les critiquer ou les combattre ? Qu’en est-il en temps de paix, en temps de guerre ? Les femmes doivent-elles être considérées comme des machines à procréer pour renforcer la société ou peuvent-elles choisir leurs partenaires et les modalités de leur maternité ? La démographie doit-elle être promue par l’interdiction de l’avortement, de la contraception et des pratiques sexuelles stériles ou bien chacun peut-il choisir la sexualité qui le rend heureux ? On peut constater que la défense d’une société unie et forte correspond à ce qui est traditionnellement défini comme la droite politique tandis que le droit au bonheur constitue l’idéal de la gauche.
Si chaque société tente de résoudre cette tension par des solutions différentes, une tendance se dessine néanmoins. Les sociétés qui se sentent menacées ou qui ont un projet expansionniste ont recours à des lois contraignantes au détriment du droit au bonheur des individus. Au contraire, les sociétés puissantes, dotées d’un régime stable et dont les seules ambitions sont d’ordre économique, peuvent s’offrir le luxe d’un régime démocratique et de lois offrant un grand degré de liberté. Mais rien n’est définitif. Lorsqu’une menace apparait, les sociétés les plus libres ont recours à des mesures contraignantes.
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