Les années passent, la troupe des Enfoirés s’égosille sous les projecteurs, les hommes politiques, les artistes, les personnages en vue du monde médiatique, industriel et financier font preuve d’une immense générosité et d’une évidente discrétion. Rien n’y fait, la misère est toujours là. On en oublierait presque ceux qui, sur le terrain, au contact avec les miséreux que la société a rejetés, assurent des permanences, des distributions de toute sorte, des maraudes, ces anonymes qui n’aspirent pas à la célébrité, qui ne vendent pas de disques, ne briguent pas de mandat électif, n’essaient pas de conquérir de nouveaux marchés en donnant une image de patron cool, qui se contentent d’apporter un peu de bonheur immédiat à ceux qui en ont si peu. Il semble que dans la sphère caritative plus qu’ailleurs, il y ait ceux qui travaillent dans l’ombre et ceux qui tirent ce qu’on pourrait appeler des profits collatéraux en affichant une générosité outrageuse.
Tout d’abord, il est évident que ces hommes et ces femmes ostensiblement altruistes partagent un autre point commun : la réussite. Ils ont su maîtriser à leur profit le système grâce leurs indiscutables talents, leur intelligence du monde, leur travail et parfois un peu de chance. Auréolés de leurs succès, preuves vivantes que la réussite sociale n’exclut pas la compassion et le souci des pauvres, ils entrainent dans leur sillage des millions d’anonymes par le biais des organismes de charité. La conclusion s’impose alors d’elle même : le libéralisme est un humanisme, il suffit de l’aborder de la bonne façon. La preuve est faite qu’il ne faut rien changer. Mais tous ces conservateurs compatissants prêts à partager un peu de leurs gains avec les plus démunis ne voient-ils pas qu’ils luttent contre la misère avec les moyens qui en sont à l’origine comme on essaierait d’éteindre un incendie avec de l’essence ?
Il est intéressant de constater également que les principales religions, dont les règles plus ou moins sécularisées, servent de socle aux différentes sociétés du monde, invitent, elles aussi, à la solidarité et à l’aumône au sein de leur communauté, directement ou par l’intermédiaire des différentes structures caritatives qui leur sont liées. Faut-il y voir un message de compassion et d’amour ou bien la reconnaissance implicite que les règles de vie contenues dans ce même message ne visent pas l’éradication de la misère dont il faut néanmoins limiter les effets ?
On voit ainsi se définir une forme de charité institutionnelle qui défend le système de valeurs en vigueur et qui propose de traiter les problèmes les plus dramatiques par des mesures dérogatoires de très faible envergure : donner un lit pour quelques jours en hiver à ceux qui sont à la rue, offrir des repas à ceux qui ont faim… et puis rien ne change. Il est toujours possible d’affirmer que plus de libéralisme ou une application plus stricte d’un message religieux permettrait d’apporter le bonheur à tous. Le monde contemporain nous apporte un cruel démenti.
Un parallèle s’impose. Les inégalités et les injustices dans une société sont sources d’instabilités, de révoltes, qui peuvent provoquer sa dislocation et la chute de son système politique de la même façon qu’une infection peut affaiblir et tuer un organisme vivant. Alors, comme l’organisme se défend pour survivre en produisant des anticorps, le système politique organise la charité afin de limiter les risques de déstabilisation du corps social.
Que faire ? Abandonner à leur sort les miséreux ? Espérer les bras ballants l’avènement d’une société juste si tant est qu’il en existe une définition ? Assurément non. Aider les personnes dans la détresse est une nécessité prioritaire. Mais le don seul ne fait que pérenniser la situation, mettre ceux qui en bénéficient dans une situation de dépendance et de gratitude insupportable, et présenter comme des bienfaiteurs ceux ont su le mieux tirer parti de l’organisation de la société et qui, en conséquence, ne veulent rien changer.
Le don est indispensable à court terme mais, pour améliorer durablement la situation des plus pauvres, il faut sortir de l’hypocrisie, de l’auto-satisfaction d’avoir été généreux à l’approche de Noël, et concevoir la charité comme une roue de secours, non comme une institution. Elle doit avoir pour objectif de patienter et s’accompagner de projets politiques progressistes, déclinables depuis l’individu jusqu’à la nation et même au-delà. Il s’agit de tendre vers une organisation qui rendrait la charité inutile, non de la faire prospérer en honorant ceux qui la rendent nécessaire.
A reblogué ceci sur les éditions des chavonnes.
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