Jean-Paul Sartre (1905 – 1980)
L’existentialisme est un humanisme est une conférence donnée par Jean-Paul Sartre le 29 octobre 1946, organisée par le « Club Maintenant » salle des Centraux. Sartre veut répondre aux détracteurs de l’existentialisme notamment marxistes et chrétiens. Il réexpose donc sa théorie de façon synthétique et développe ses réponses aux principales critiques.
Le fondement de l’existentialisme tient dans l’idée que chez l’homme, l’existence précède l’essence, contrairement à un objet tel qu’un coupe-papier dont l’essence, c’est à dire les caractéristiques et la destination, précèdent l’existence. En ce sens, il n’y a pas de nature humaine ni de Dieu dont l’homme serait la réalisation. L’homme est d’abord son propre projet subjectif. Cela lui donne une dignité étrangère aux objets ou aux plantes. En conséquence, il est responsable de ses choix, pour lui-même, mais aussi pour tous les hommes par le message que ses choix leur envoie. Si un homme se marie, il s’engage dans la voie de la monogamie et invite l’humanité à faire de même ; s’il adhère a un syndicat, il invite à la résignation ou à la révolution selon que ce syndicat est chrétien ou communiste.
De fait, face à un choix, l’homme éprouve l’angoisse en s’interrogeant sur ses conséquences et sur ce qu’impliquerait que tout le monde fasse le même. Tout se passe comme si pour tout homme, toute l’humanité avait les yeux fixés sur ce qu’il fait et se réglait sur ce qu’il fait. Et chaque homme doit se dire : suis-je bien celui qui a le droit d’agir de telle sorte que l’humanité se règle sur mes actes. Un chef militaire qui prend une décision qui met en péril ses hommes éprouve cette même angoisse. Contrairement aux critiques faites à l’encontre de l’existentialisme, l’angoisse ne conduit pas à l’inaction, elle fait partie de l’action.
En l’absence de Dieu et dans la mesure où l’existence précède l’essence, l’homme qui doit choisir connait le délaissement c’est à dire qu’il doit faire ses choix sans le secours d’une morale préétablie ni d’une nature humaine qui n’existent pas. En l’absence de tout déterminisme l’homme est condamné à être libre.
Le délaissement est illustré par l’exemple d’un jeune homme venu trouver Sartre pendant la seconde guerre mondiale, hésitant entre, d’une part, la résistance pour laver l’honneur de sa famille dont le père est proche de la collaboration et, d’autre part, le fait de rester avec sa mère dont l’autre fils a été tué lors de l’offensive allemande. S’il cherche une aide extérieure, ni la morale chrétienne invitant à la charité et à l’amour du prochain, ni la morale kantienne invitant à ne pas considérer l’autre comme un moyen mais comme une fin, ni aucune autre morale ne peuvent lui venir en aide. S’il cherche en lui-même à analyser la force de ses sentiments, il ne pourra dire qu’il aimait assez sa mère pour rester auprès d’elle qu’une fois qu’il aura décidé de le faire et en aucun cas avant. Il doit donc faire son choix dans le délaissement. Ne pas choisir serait choisir tout de même.
Le désespoir consiste à ne compter que sur ce qui dépend de notre volonté et à savoir que beaucoup de choses lui échappe. Il n’est toutefois pas un frein à l’action ni à l’engagement, mais la prise de conscience que nos entreprises peuvent être contrariées par des choix d’autres personnes ou par des événements sur lesquels nous n’avons pas prise.
Par ailleurs, le fait de se chercher des excuses liés à des déterminismes afin d’affaiblir sa propre responsabilité dans ses choix constitue la mauvaise foi.
L’existentialisme ne définit un homme que par l’ensemble de ses actes. Un lâche n’est lâche que par ses actes. De même un héros. Cette pleine responsabilité effraie et motive bien des critiques. Il est en effet plus confortable de se considérer comme le jouet de déterminismes et de se dire qu’on n’y peut rien. En définissant un homme par ces actes, l’existentialisme est une doctrine de l’action résolument optimiste contrairement à ce qu’en disent ses détracteurs.
La première vérité à considérer est le cogito cartésien qui fait prendre conscience de soi parmi les autres, sans le regard de qui personne ne peut se définir. Une intersubjectivité est ainsi créée. La condition humaine se définit par les limites auxquelles chaque homme est soumis : la société à laquelle il appartient, la position qu’il y occupe, mais également le fait d’être mortel. Chacun a un projet vis-à-vis de ces limites : les repousser, les franchir, les nier… Cette nécessité de projet dans des conditions données dans une démarche qui engage l’humanité constitue l’universalité de l’homme.
On reproche à l’existentialisme de permettre de choisir n’importe quoi. Cette objection est sans fondement puisque quoique nous fassions, nous choisissons. Ce choix ne s’accroche certes à aucune morale préétablie et en cela l’homme est dans une nécessité de créer des valeurs et de donner du sens à sa vie comme le fait l’artiste à qui on ne reproche pas de transgresser des règles fixées à l’avance. En outre, même en l’absence de morale, il est possible de juger quelqu’un suivant le critère universel qu’est son authenticité, c’est à dire la reconnaissance de la liberté comme fondement de toute valeur dans une attitude relevant de la bonne foi. Ceux qui chercheront a masquer cette liberté par des excuses déterministes seront appelés des lâches, ceux qui voudront montrer leur existence comme nécessaire alors qu’elle est contingente, des salauds. Nous devons avoir conscience de faire chacun de nos choix de façon libre et non par résignation ou par obéissance.
Enfin, le sens de l’humanisme existentialiste ne consiste pas à considérer l’homme comme valeur supérieure mais tient dans le fait que l’homme est à la fois dans le dépassement qui constitue une transcendance et dans la subjectivité. Il est son propre législateur et cherche hors de lui les buts qui lui permettront de se réaliser comme humain.