Economie du bien commun : l’Europe à la croisée des chemins – Jean Tirole

L’Europe à la croisée des chemins – Jean Tirole

Tiré de Economie du bien commun, les grands défis macro-économiques.

L’espoir suscité par la construction européenne, les promesses de liberté, de solidarité et de paix, l’enthousiasme des premiers acquis que constituaient la réduction des écarts de revenus entre pays, ont laissé place au doute peu après la création de l’euro.

 

Les atouts de la monnaie unique et principalement :

  • la suppression des risques de change pour les entreprises,
  • la crédibilité financière donnée aux pays de l’Europe du sud,
  • l’élan vers une Europe fédérale,

ont été éclipsés par :

  • l’absence d’harmonisation fiscale entre les pays membres,
  • l’absence de mobilité des travailleurs pour des questions culturelles et linguistiques,
  • l’impossibilité de dévaluer la monnaie pour redonner de la compétitivité à une économie nationale,

et la crise que connait l’euro est liée différents problèmes de compétitivité et d’endettement.

Dans les pays d’Europe du sud, dont la France, entre 1998 et 2013, les salaires augmentèrent d’environ 40 % alors que la productivité ne progressait que de 7%. Pendant ce temps, l’Allemagne ayant limité les hausses de salaires produisit des biens à moindre coût qu’elle put exporter vers les pays d’Europe du sud qui, pour les acquérir, s’endettèrent ou cédèrent une partie de leur patrimoine. Pendant ce temps, leurs entreprises dont les produits étaient trop chers ne pouvaient plus exporter et voyaient leur activité plonger. Pour sortir de l’impasse, les pays d’Europe du sud, privés de la possibilité de dévaluer leur monnaie pour retrouver de la compétitivité, n’avaient que deux alternatives : une dévaluation fiscale telle que la création d’une TVA sociale destinée à baisser les revenu pour subventionner les entreprises et les exportations, ou une dévaluation interne consistant à baisser les salaires pour retrouver de la compétitivité, mais induisant des problèmes majeurs pour les ménages endettés. Ces deux solutions furent utilisées.

Par ailleurs, lors de la création de l’euro, les créanciers prêtèrent aux pays du sud de l’Europe a des taux très bas entraînant leur endettement important. Les ménages aussi s’endettèrent massivement pour l’acquisition de biens immobiliers, créant une bulle, et mettant en difficulté plusieurs banques.

Pour éviter la reproduction d’une telle situation au niveau national, une autorité bancaire européenne unique fut créée en 2014. Le traité de Maastricht avait déjà limité, sous peine d’amande, le déficit public à 3 % du PIB, le taux d’endettement à 60 % du PIB et avait proscrit le renflouement de pays en difficulté. Ce système de contraintes n’a toutefois jamais fonctionné : sanctionner un pays en difficulté plutôt que de l’aider allait contre de la construction européenne. En outre, des règles concernant l’endettement applicables à tous les pays n’avaient pas beaucoup de sens :

  • la soutenabilité d’un taux d’endettement dépend de plusieurs facteurs : la croissance du pays, sa capacité à percevoir l’impôt, le caractère domestique ou international de la dette, les taux d’intérêts. L’Argentine connut une crise majeure avec un endettement de 60 % du PIB alors que le taux de 240 % du PIB au Japon ne suscite pas d’inquiétude,
  • la dette comptabilisée n’inclut que ce qui est dû de façon certaine. Les retraites, les garanties de l’Etat notamment pour les comptes en banque des particuliers ou le renflouement des banques en cas de crise n’entrent pas dans le calcul. Ces sommes considérables font ainsi disparaître la frontière entre dette privée et dette publique,
  • l’effort demandé aux populations doit être réel mais aussi supportable. Un pays en difficulté demander l’intervention du FMI dont le rôle est de fixer les conditions d’une gestion rigoureuse permettant d’assainir sa situation financière et, grâce à une crédibilité retrouvée, de réemprunter à des taux normaux.

La crise grecque a montré les possibilités et les limites de ce qui pouvait être fait pour maintenir un pays dans la zone euro. Précisons ses principaux épisodes :

  • la non intervention des Etat alors qu’en 2010 la Grèce était en dérapage sur le plan du déficit et de la dette, qui s’élevaient respectivement à 15,5 % et 130 % du PIB,
  • l’intrusion dans l’économie nationale d’une troïka composée du FMI, de la BCE et de la Commission européenne en contrepartie d’un étalement du remboursement de la dette qui ne deviendrait substantiel qu’en 2022,
  • la violation du principe de non renflouement et le rachat par la BCE de dette grecque,
  • la conduite de réformes à l’intérieur du pays, trop timide pour certains, importante pour les autres,
  • l’hostilité d’une population à une rigueur imposée par l’étranger puis sa résignation au regard de ce qu’impliquait une sortie de l’euro : compétitivité retrouvée par la dévaluation de la monnaie nationale au pris d’un endettement en euros bien supérieur, de taux d’intérêt prohibitifs, d’une augmentation des inégalités entre ceux qui détiennent de l’euro à l’étranger et ceux qui n’ont que des drachmes.

La solution à la crise grecque n’est pas trouvée : la situation économique ne s’est que faiblement améliorée, la dette s’élevant encore à 180 % du PIB.

L’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. Deux options se présentent :

  • l’option Maastricht améliorée, consistant à limiter l’action de l’Europe au contrôle de la dette et des déficits nationaux. Pour ne pas connaître de nouvelle crises, ce contrôle nécessite un Conseil budgétaire capable de sanctionner effectivement un pays en dérapage. La création d’une telle institution dans le contexte actuel de montée des nationalismes est difficilement envisageable.
  • l’option fédéraliste, avec comme préalable l’harmonisation de la fiscalité, de l’assurance chômage, des retraites, de la sécurité sociale, afin que les économies nationales évoluent de façon similaire.

Le choix dépendra de la volonté des régions riches de financer les régions plus pauvres.

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