Voyages d’un philosophe aux pays des libertés : la tolérance au Kerala.

Dans l’état indien du Kerala, un grand nombre de communautés religieuses cohabitent depuis plusieurs siècles. Les juifs seraient arrivés au temps de Salomon, les chrétiens avec Thomas d’Aquin, les musulmans à l’époque de l’Hégire. Les commerçants protestants et catholiques ont rejoint au XV^e les premiers chrétiens devenus des fidèles de diverses obédiances dont l’Eglise syriaque orthodoxe. Des sikhs, des bouddhistes ainsi que des représentants de nombreux cultes hindous complètent le tableau. Les relations intercommunautaires sont depuis toujours amicales et bienveillantes, malgré quelques tensions récentes liées au retour d’Arabie Saoudite de travailleurs migrants séduits par le radicalisme musulman. Les responsables religieux locaux ont su toutefois appaiser la situation.

Les témoignages de membres des différentes confessions ainsi que de responsables politiques locaux tels que Shashi Tharoor, diplomate et homme politique, attestent que, contrairement à la laïcité française, le sécularisme pratiqué au Kerala consiste à tout accepter, les traditions, les coutumes, les vêtements… à l’école comme ailleurs. Pour un keralais, l’interdiction des signes religieux hostensibles dans l’espace public est inconcevable dans une démocratie. Au Kerala, la tolérance est fondée sur trois principes :

• le commerce : les différentes religions sont arrivées au Kerala non pas les armes à la main mais au hasard d’échanges commerciaux, profitables à tous,
• l’absence de politique des cultes de la part de l’Etat qui laisse chaque religion financer ce qu’elle veut hôpitaux, écoles… sans que cela ne gêne personne, chacun pouvant en profiter,
• le communautarisme assumé : les membres des différentes communautés vivent et travaillent ensemble mais ne se mélangent pas. Les mariages mixtes ne sont pas envisageables. Le recrutement des fonctionnaires respecte la proportion de chaque religion. Sûre de leur stabilité, les religions sont bienveillantes entre elles. L’intolérance ne commence-t-elle pas avec la peur de la dilution ? 

L’hindouisme, rare culte à ne pas revendiquer la vérité exclusive, a rendu possible ce sécularisme, cette profusion de religions juxtaposées qui garantit qu’aucun ne soit en position de domination et ne puisse faire preuve à l’égard des autres d’une tolérance condescendante assortie de conditions. Les religions, toutes minoritaires, s’expriment ainsi sereinement, sans prosélytisme, jugement, ni de revendication de prééminence. 

En France, la laïcité d’aujourd’hui est un athéisme teintée d’anticléricalisme. Elle accorde la possibilité de pratiquer la religion de son choix, à condition que rien ne soit visible dans l’espace public. Pourtant la loi de 1905 séparant les Eglises et l’Etat était destinée à permettre à chacun de pratiquer librement sa religion, non à imposer la laïcité comme religion d’Etat. Dans cet esprit libéral, elle avait notamment renoncé à interdire le port de la soutane aux prêtres dans la rue. Les débats actuels concernant les signes religieux dans les lieux publics et à l’école sont ainsi très loin des projets d’Aristide Briand et de Jules Ferry. 

Aujourd’hui, les sociétés homogènes et les religions exclusives disparaissent. Les individus voyagent, se marient hors de leur communauté, rencontrent des personnes d’horizon différents… Progressivement, chacun construira son identité avec des valeurs choisies dans différentes cultures, suivant une combinaison dont il sera le seul représentant. Mais pour devenir lui même, il devra s’inscrire dans un devenir minoritaire dynamique, un mouvement qui exclut de s’installer dans le confort d’une minorité stable. La question de la tolérance ne se posera plus alors entre des minorités mais entre chaque individu devenu minoritaire.

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