La servante écarlate est ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler une dystopie, le contraire d’une utopie. Le récit a pour cadre Gilead, une société dans laquelle l’individu n’est rien, ou plutôt dont le seul intérêt tient dans sa participation docile à la vie de la communauté, à la place qui lui a été attribuée. Chacun est ainsi tenu de croire dans les valeurs qui sous-tendent la société et d’appliquer ses lois, même les plus cruelles, de façon loyale, désintéressée, mécanique. Seule une petite élite dirigeante dispose de privilèges et d’une plus grande liberté.
Une telle société choque l’individu occidental moderne, attaché aux droits de l’homme, dont les valeurs s’articulent autour de la liberté de parole et de conscience, l’acquisition de connaissances et la construction de soi en tant qu’être humain intelligent, unique, conscient, responsable. Le lecteur s’interroge alors immanquablement sur les différences et les points communs entre la société qu’il connait et Gilead et il scrute dans le présent les dérives qui pourraient faire passer de l’une à l’autre.
Résumé de La servante écarlate – L’univers
Décrivons le contexte du récit, la société de Gilead, pays qui fut jadis les États-Unis.
A une époque qui est approximativement la nôtre ou un futur proche, la fertilité des femmes blanches occidentales s’est effondrée pour différentes raisons. Certaines sont intentionnelles : contraception, avortement, d’autres non : prolifération d’une syphilis de souche résistante et du SIDA, maladies liées à la pollution par des produits toxiques et radioactifs suite à plusieurs accidents industriels. Face à ce péril, Les Fils de Jacob ont permis à la république de Gilead de prendre le pouvoir en se substituant à la démocratie américaine. Ces pères fondateurs ont établi une religion inspirée de l’Ancien Testament. Cette colonne vertébrale du système politique est un culte déiste adapté à la situation qui s’oppose par la violence à toutes les autres fois.
Le système politique de Gilead est inégalitaire, composé de castes et entièrement tourné vers la natalité et la démographie. Les femmes en âge de procréer qui entretiennent des relations adultères, mariées plusieurs fois ou vivant en union libre sont réduites à l’état de servantes, reconnaissables à leur habit rouge et à leur coiffe, et destinées à la reproduction des couples stériles de haut rang. Leurs enfants leurs sont retirés et elles subissent un endoctrinement par une caste de femmes célibataires, âgées ou stériles, appelées les Tantes. L’objectif est de faire prendre conscience aux futures servantes de leur mission de régénération de la race après les funestes erreurs du passé, la recherche des plaisirs de tous ordres et la généralisation de la pornographie. Une fois instruites, les servantes sont confiées pour deux ans à un couple stérile. Chacune d’elles perd son nom pour celui composé du préfixe de suivi du prénom du mari de la famille à laquelle elle est confiée. Les protagonistes du roman se nomment ainsi Defred, Deglen ou Dewaren.
Lorsque la période de son cycle ovarien est propice, la servante participe à une cérémonie : installée entre les jambes de l’épouse elle est inséminée par le mari lors d’un acte sexuel, excluant l’amour et le plaisir, dans le seul but de procréer. Cette pratique trouve son origine et sa légitimité dans l’épisode de la Genèse au cours duquel Rachel ne pouvant avoir d’enfant propose à Jacob, son mari, d’avoir recours à cette conception par procuration avec sa servante Bilha. Toutefois, la référence biblique n’apaise pas la jalousie des épouses.
Dans le reste de la société on trouve des Marthas qui sont des domestiques employées par les familles de haut rang, les Yeux qui constituent la police politique, les Anges, soldats qui participent aux conflits dont on ne sait rien hormis qu’ils ne cessent jamais bien que Gilead accumule les victoires militaires, les gardiens de la foi qui font office de police et les Econofemmes, mariées à des hommes pauvres mais reconnues dignes d’une vie de famille. Chaque caste est caractérisée par son vêtement.
Les valeurs qui structurent Gilead correspondent aux traditions religieuses les plus puritaines : la valeur sacrée du foyer, la criminalisation de l’avortement, l’accouchement dans la souffrance et la définition très précise de la place des hommes et des femmes dans la société ainsi que de leurs prérogatives respectives. Ainsi, les femmes ne peuvent plus disposer de compte bancaire ; la lecture leur est interdite sous peine d’être imputées d’une main ; le jardinage et les bavardages avec d’autres femmes de même condition sont devenus leurs seules distractions. Les futilités comme les produits de beauté ou les revues sont désormais interdites.
Pour manifester sa dévotion à Gilead, à ses valeurs et à sa religion, des expressions adaptées aux situations courantes ont été élaborées. Lorsque deux personnes se rencontrent l’une dit béni soit le fruit et l’autre lui répond que le seigneur ouvre. Si on se joint à un groupe, il convient de s’exclamer béni soit ce jour ! Au revoir se dit sous son œil. Une bonne nouvelle ? loué soit-il ! S’il fait beau, quelqu’un dira on nous a envoyé du beau temps à quoi un autre répondra que je reçois avec joie.
Mais malheur à celui pour qui la vie à Gilead n’est pas une continuelle réjouissance. La répression est omniprésente. Les Yeux veillent au respect des règles et arrêtent quiconque les transgresse : les homosexuels, qualifiés de traitres au genre, ceux qui ont voulu garder leur religion, et ceux qui complotent d’une manière ou d’une autre contre le régime. La peine pour ces criminels est généralement la mort par pendaison. Les condamnés sont suspendus encagoulés au Mur à la vue de tous ou exécutés lors de cérémonies publiques appelées Rédemptions. Au cours de ces réunions, il arrive que des condamnés soient désignés comme violeurs et que les servantes soient invitées à les mettre à mort elles-mêmes avec leurs poings et leurs pieds. Une façon d’en faire des complices de Gilead. Ceux qui échappent à la pendaison sont envoyés dans les Colonies, des zones contaminées par des substances toxiques et radioactives dont ils assurent le nettoyage avant de mourir après quelques années des suites de l’exposition à ces substances.
Les femmes jugées indignes d’une vie de famille et qui ne peuvent procréer en raison de leur stérilité ou de leur âge, celles qui refusent le devenir servante, ou encore les servantes qui n’ont pas eu d’enfant après avoir séjourné dans trois familles stériles sont envoyés dans les colonies. Les servantes qui tentent de fuir sont punies par des blessures au pieds qui laissent intactes leurs capacités de procréation. A la deuxième tentative, elles sont condamnées aux colonies. Les plus chanceuses peuvent aussi devenir des prostituées dans des établissements interdits mais dont toutes les personnes de haut rang connaissent l’existence. En revanche, les servantes qui ont assuré la descendance d’un couple sont assurées de ne jamais connaitre les colonies.
Résumé de La servante écarlate – L’histoire
Le récit de la Servante écarlate dévoile, de façon non chronologique, l’histoire d’une femme devenue servante sous le nom de Defred, chargée d’assurer la descendance d’un couple de très haut rang dont le mari est un Commandant, un des pères fondateurs de Gilead. La maisonnée compte également deux Marthas qui s’affairent à la cuisine et un chauffeur Nick.
Dans sa vie passée, Defred était marié à Luke, un homme divorcé avec qui elle a eu une fille. Se sachant menacée, la famille avait tenté de fuir au Canada mais avait été arrêtée. Alors que sa fille lui a été enlevée pour être confiée à une famille stérile et que son mari a disparu, Defred vit désormais son existence monotone de servante dans l’angoisse de ne jamais les revoir ou de reconnaitre Luke pendu au Mur. Elle subit de façon docile et absente les cérémonies qui lui valent le ressentiment de Serena Joy, l’épouse du Commandant, et le mépris des domestiques. Chaque jour elle va faire les commissions, à pied, avec la servante d’un couple voisin, Deglen. Les servantes doivent sortir deux par deux, chacune étant implicitement chargée de surveiller l’autre. Une complicité s’établit néanmoins entre les deux femmes. Deglen s’ouvre de son engagement au sein d’un groupe de résistance nommé Mayday.
En inspectant sa chambre, Defred découvre, gravée dans le sol, la phrase Nolite te salopardes exterminorum. Ces quelques mots énigmatiques lui plaisent. Elle en ignore le sens mais elle sait qu’ils sont le lien entre elle la servante qui l’a précédée. Ils deviennent son mantra son cri de révolte.
Sachant son mari stérile et désireuse d’avoir un enfant, Serena organise un rendez-vous entre Defred et Nick qui loge sur place. Cette première relation transforme un amour naissant en passion. Le couple se retrouve régulièrement dans l’appartement de Nick. Chacun a pleinement conscience des risques qu’il court. Pourtant Defred s’interroge : Nick est-il un Œil ou un allié ?
Parallèlement, les relations entre Defred et le Commandant deviennent à la fois cordiales et ambiguës. Il l’invite fréquemment à le rejoindre tard le soir dans son bureau, à l’insu de Serena, pour faire une partie de Scrabble, lire, consulter des revues féminines conservées illégalement, discuter de façon libre et franche de l’organisation et des valeurs de Gilead. En échange, il réclame un baiser lorsqu’ils se séparent. A l’occasion d’une de ces discussions, Defred apprend que celle qui l’a précédé, l’ancienne Defred, s’est pendue au crochet du lustre de sa chambre. Une autre fois, elle interroge le Commandant sur le sens de la phrase gravée sur le plancher de sa chambre. Celui-ci, amusé, lui montre un vieux manuel scolaire sur lequel elle est écrite, à la main dans la marge. Il s’agit d’une blague, du latin de potache qui signifie ne te laisse pas tuer par les tyrans. La servanteprécédente avait-elle appris cette phrase au cours d’entretiens tardifs avec le Commandant ?
Sans l’avoir prévenu, un soir, le Commandant fait revêtir à Defred une tenue vulgaire et très défraichie, lui demande de se maquiller, de passer un manteau appartenant à Serena et l’emmène dans un ancien hôtel de luxe devenu un club où l’on peut consommer de l’alcool, de la drogue et des prostituées. Là, dans une chambre qu’il a louée, Defred consent à une relation sexuelle avec le Commandant, hors du cadre de la Cérémonie. Plaisir simulé par l’une, éprouvé par l’autre.
Mais Serena découvre bientôt les séquelles de cette soirée, des taches de maquillage sur son manteau. Aux récriminations qu’elle lui adresse, Defred est maintenant certaine que le Commandant s’était comporté de la même façon avec la précédente servante.
Peu après, Defred voit un fourgon approcher. On vient la chercher. Pourquoi ? Serena l’a-t-elle dénoncée ? Elle voit Nick furtivement. Il lui affirme qu’elle n’a rien à craindre, qu’il s’agit d’une opération de Mayday. Serena et le Commandant ne comprennent pas ce qui se passe et n’obtiennent pour seule réponse à leurs questions que Defred est accusée de trahison de secrets d’État. Leur surprise se transforme soudain en peur. Seront-ils inquiétés ? Seront-ils victimes d’une purge ? Le destin de Defred dépend d’une autre question. Nick fait-il réellement partie de Mayday ou est-il un Œil qui joue double jeu ? En montant dans le fourgon elle ignore tout de l’avenir.
Prochainement : un commentaire de lecture sur La servante écarlate.
[…] En lien avec : La servante écarlate – Margaret Atwood. […]
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Merci de ces éclaircissements car il n’est pas toujours facile de comprendre le sens de l’ouvrage surtout dans sa première partie. Pure création, bien qu’extrêmement sordide, une imagination très structurée et construite avec brio. Merci Margaret Atwood.
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Merci pour votre commentaire. Le livre est en effet une dystopie glaçante de réalisme.
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