Edme Champion dit « Le petit manteau bleu », de Châtel-Censoir à Paris, 1764 – 1852 – Martine Brunet Giry

B08B53A5-9093-49CE-8AEC-EABCB494D5F5_4_5005_cMartine Brunet-Giry, professeur agrégée d’histoire nous fait découvrir le destin d’Edme Champion, devenu célèbre au XIXe siècle pour ses actions de bienfaisance, puis tombé dans l’oubli. Il ne s’agit pas de faire l’éloge d’un saint laïc mais, par un travail d’historien, de retrouver l’homme, son engagement aux côtés de ceux qui souffrent, sa générosité, son ambition, ses erreurs.

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Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

Introduction – Avant dernier d’une fratrie de huit enfants au sein d’une famille modeste de l’Yonne, Edme Champion fit fortune comme bijoutier à Paris où il organisa des soupes populaires. Ses biographes ont écrit sa légende de philanthrope en insistant sur la pauvreté de la famille afin de rendre sa réussite plus méritoire et éclatante. Le travail d’historien restait à faire concernant cet homme qui, de 1764 à 1852, fut le témoin de tant de bouleversements politiques et qui acquis la notoriété sous le nom de petit manteau bleu.

Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

I- Edme Champion à Châtel-Censoir, 1764 – 1779 – Pierre Champion, le père d’Edme, exerçait la profession de compagnon de rivière à Châtel-Censoir, un gros bourg rural de l’Yonne. A partir du XVIe et alors que les besoins de bois de chauffage de Paris augmentaient avec sa démographie, le flottage se développa comme alternative au bateau pour y acheminer le bois du Morvan : d’importantes quantités de bois étaient liées par des ouvriers appelés flotteurs puis rejoignaient Paris, descendant l’Yonne puis la Seine, guidées par les compagnons de rivière. Ces derniers étaient les plus qualifiés et les mieux payés de l’activité de flottage. Parallèlement Pierre Champion exerçait la profession de vigneron qui lui assurait un complément de revenus.

La mère d’Edme Champion, Françoise Laroche, était couturière, fille de serrurier. Contrairement à son mari, elle savait lire et écrire, ce qui l’avait conduite à fréquenter la bourgeoisie et la petite noblesse de Châtel-Censoir dont elle s’était imprégnée des usages. L’inventaire des biens apportés par chacun des époux, joint au contrat de mariage signé en 1753, montre que la condition sociale de Françoise Laroche était légèrement supérieure à celle de son mari. Elle n’avait toutefois pas dérogé à sa condition, l’écart se situant davantage sur le plan culturel que financier. Pierre et Françoise Champion eurent huit enfants dont deux moururent en bas âge.

Le couple acheta une maison de bonne taille comprenant une écurie et un jardin pour la somme de 15 livres et une rente annuelle de 4 livres, conformément au système d’acquisition en vigueur au XVIIIe siècle. Il racheta la rente un peu plus tard pour 80 livres et devint pleinement propriétaire du logement. L’inventaire des biens de la famille lors du décès de Françoise Laroche en 1778 peu après celui de son mari, traduit un mode de vie familiale modeste. Néanmoins, Pierre Champion et Françoise Laroche laissèrent à leurs enfants des biens évalués à 670 livres alors que la somme de leurs apports au moment de leur mariage n’était que de 132 livres. Cet enrichissement traduit une petite aisance.

A la mort de sa mère, Edme Champion, âgé de 13 ans, il s’embarqua dans l’été sur un train de bois pour Paris où il avait de la famille.

Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

II- Edme Champion bijoutier à Paris, 1779 – 1789 – Edme Champion habita chez une sœur de son père mariée à un bourgeois parisien. Compte tenu des nombreux voyages de Pierre Champion dans la capitale, Paris était une ville connue de la famille. Tous les frères et sœurs d’Edme y feraient leur vie.

A quinze ans, Edme Champion fut placé en apprentissage chez un artisan bijoutier, sous le parrainage de la paroisse de son quartier et grâce à un don d’une Madame Tissier ou Tessier. Il s’agissait d’un apprentissage charitable, filière moins prestigieuse que l’apprentissage des corporations assuré par des maîtres et destiné à former la future élite de chaque métier. Après trois ans, Edme Champion devint apprenti chez un second bijoutier du nom de Martial de Poilly, fournisseur d’un  marchand mercier de grand renom, Charles Raymond Grancher.

Grancher fit faillite en 1787 et de Poilly en 1789, ne parvenant pas à préserver une trésorerie suffisante pour faire face aux aléas des ventes, au paiement des fournisseurs et aux remboursements des crédits contractés. Edme Champion alla alors vraisemblablement travailler dans la boutique du frère de son ancien employeur, rue Saint-Germain l’Auxerrois, dont il fit l’acquisition peu après.

Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

III- Edme Champion pendant la révolution, 1789 – 1795 – Les biographes ont décrit Edme Champion comme un homme habité par les idéaux de la Révolution mais qui tenta de s’opposer à ses épouvantables excès. Selon les versions, il aurait été dénoncé pour avoir caché des nobles, jugé par le Tribunal Révolutionnaire avant d’être relâché. Au bord de la faillite, un ami nommé Bellancourt l’aurait sauvé de la ruine en lui apportant 80 000 francs. Il serait ensuite parti en Hollande avant de rentrer en France et de se marier.

Pour tenter de s’approcher de la vérité dont les récits des biographes ne sont qu’une lointaine esquisse, il convient d’examiner les documents. Edme Champion n’est pas passé devant le Tribunal Révolutionnaire mais devant le Comité de Sûreté générale, comme en atteste son dossier d’incarcération. Dès le début de la Révolution, la dénonciation fut considérée comme un acte civique. Elle se distinguait de la délation ou de la calomnie par trois critères : elle devait être gratuite, son auteur n’était pas payé ; désintéressée, son auteur n’agissait que dans l’intérêt général ; spontanée, son auteur n’était pas un indicateur professionnel. Les extraits des délibérations permettent d’affirmer que Champion fut arrêté le 26 mai 1795, sur dénonciation d’un certain Gruau, bijoutier en chambre c’est-à-dire sans boutique, non pour avoir donné asile à des nobles mais pour avoir applaudi aux journées des 2 et 3 septembre 1792, restées dans l’histoire comme le point culminant de la première Terreur.

De quoi s’agissait-il ? En août 1792, la prise de Longwy et le soulèvement en Vendée déclenchèrent à Paris un vent de panique : les ennemis étaient partout, en France comme à l’étranger. En réaction, 30 000 suspects furent arrêtés puis relâchés pour la plupart. Le 2 septembre 1792 suite à la nouvelle du siège de Verdun, dernière place forte avant Paris, le bruit courut de l’imminence d’un soulèvement des suspects pour s’allier avec l’ennemi. Dans la panique, 1100 à 1400 détenus furent exécutés dans les prisons de la capitale. Trois quarts des victimes étaient des condamnés de droit commun.

La chute de Robespierre en 1794 marqua le début d’une épuration de grande ampleur, la terreur blanche. Les journées des 2 et 3 septembre furent condamnées comme l’œuvre de terroristes et de patriotes exaltés. La dénonciation de Gruau s’inscrit dans ce contexte. Champion a-t-il été du côté des patriotes exaltés ou, comme l’affirment ses biographes voulut-il s’opposer à ce massacre ?

Après son arrestation, en mai 1795, Edmée Jobbé, son épouse, demanda aux membres de la 9e section de la garde nationale, à laquelle appartenait son mari, de témoigner en sa faveur. Elle obtint une lettre attestant que Champion avait avoué, trois mois plus tôt, qu’il avait fui des hommes bien méchants après s’être aperçu de son erreur. La date de la rupture de Champion avec les acteurs de la Terreur excluait sa présence aux côtés de Robespierre lors de sa chute les 9 et 10 Thermidor mais pas sa participation aux journées des 2 er 3 septembre. Grâce à des relations familiales, Edmée Jobbé obtint de Barras, personnage déjà très haut placé, l’ajout à la lettre d’une apostille en faveur de son mari. Grâce à ces démarches, Champion fut libéré. Mais qui étaient ces hommes bien méchants dont parlait la lettre ? Vraisemblablement les membres du club des Cordeliers, celui de Danton, Desmoulins, Hebert et Marat. En effet, le nom de Champion, en qualité de secrétaire, apparait au bas de plusieurs comptes rendus de séances. Toutefois, l’absence de prénom ne permet pas d’avoir l’absolue certitude qu’il s’agit d’Edme. Ainsi, rien ne permet de connaître la conduite de d’Edme Champion les 2 et 3 septembre 1792, mais son appartenance probable au club des Cordeliers laisse entrevoir sa sympathie pour les patriotes exaltés.

Qu’en est-il des 80 000 francs qui le sauvent de la faillite ? Aucun ami Bellancourt ne semble avoir pu lui fournir une telle somme. Il parait plus probable qu’il s’agisse d’un investissement de plusieurs personnes, dont Champion fût dépositaire, pour racheter à vil prix des bijoux et de l’argenterie que des nobles voulaient monnayer au plus vite pour financer leur départ pour l’étranger. Une fois en possession de son trésor, Champion partit en Hollande revendre à leur prix les articles acquis. Ce voyage lui permettait par la même occasion d’échapper à son passé à l’heure de la terreur blanche avant de devenir, sous le Directoire, un honorable commerçant vivant dans l’aisance.

Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

IV- La fortune d’Edme Champion, 1795 – 1852 – Edme Champion a été décrit par ses biographes, tantôt comme un individu vivant dans une honnête aisance, tantôt comme un millionnaire, mais toujours comme un homme simple et généreux, en accord avec le philanthrope qu’il allait devenir. Les archives, les actes de mariage et les inventaires réalisés lors des décès décrivent une réalité différente.

Après son retour de Hollande, Champion vécut dans plusieurs appartements bourgeois loués dans des quartiers accueillant de nombreux commerces de luxe. Son mariage avec Edmée Jobbé, issue d’une famille d’orfèvres versaillais renommée, lui permit de disposer de relations utiles au développement de son commerce. Son contrat de mariage indique qu’il apporta au foyer 6000 francs et sa femme 11070 francs. Edme Champion entrait dans une famille de rang social supérieur au sien.

Le couple Champion eut deux enfants qui firent chacun un beau mariage.

En 1821, Edme Champion fit l’acquisition, pour 178 000 francs, d’un immeuble au Palais Royal, large de quatre arcades sur la rue et d’une surface de 176 m2. Outre les revenus de son activité professionnelle qu’il exerça jusqu’en 1824, il disposait de rentes immobilières issues de la location d’une partie de son immeuble et de revenus fonciers tirés de la location de bois qu’il avait acquis à proximité de Châtel-Censoir. Le total de ces rentes annuelles s’élevait ainsi à 15000 francs. Enfin, sa fortune à son décès a été estimée à 482 500 francs. Après s’être enrichi par son travail, à l’occasion de la Révolution puis par son mariage, Edme Champion appartenait à la frange inférieure des grosses fortunes.

Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

V- Edme Champion 1824 – 1852 dit Le petit manteau bleu – Parmi les œuvres de bienfaisance attribuées à Edme Champion, certaines ont été inventées par ses biographes pour nourrir sa légende. Ses activités philanthropiques commencèrent réellement à la fin de sa vie professionnelle, en 1824. Elles consistèrent essentiellement à distribuer, en hiver, des soupes et du pain aux indigents qui le surnommèrent le petit manteau bleu à partir de 1826, en raison du vêtement. La presse parisienne salua son action lors du terrible hiver 1829 – 1830, pendant lequel il distribua quarante mille soupes en seulement deux mois.

Contrairement à ce qui est souvent rapporté, il n’a pas été le premier à organiser des soupes populaires. Des institutions religieuses ainsi que la Société Philanthropique de Paris pratiquaient de telles distributions dès le XVIIIe siècle. Des fourneaux spécialement conçus pour cet usage, permettaient de cuire de grandes quantités de soupe avec un minimum de bois. La composition de la soupe fut progressivement enrichie. Aux légumes secs furent ajoutés des légumes frais, de la graisse de bœuf, du lard ou du beurre, selon les possibilités et le prix des denrées. Le pain, appelé aussi soupe, seul aliment nutritif dans l’esprit populaire, compléta le repas.

Le coût des soupes et du personnel nécessaire à leur distribution peut être évalué entre 6000 et 7000 francs par an, soit environ 40 % des revenus d’Edme Champion.

L’action philanthropique d’Edme Champion prit ponctuellement d’autres formes. Bien qu’il ait affirmé ne jamais donner d’argent, il lui est arrivé de faire des dons en numéraire, toujours en province, suite à des catastrophes telles que des incendies, ou de prêter sans intérêts. Il fit également des dons à des hôpitaux et à des écoles, notamment à celle de Châtel-Censoir, récompensant les meilleurs élèves et assistant à la remise des prix de fin d’année. Plus anecdotique, il offrit à l’archevêque de Sens une magnifique améthyste et à l’église de Châtel-Censoir plusieurs tableaux et une très belle chasse pour y conserver les reliques de Saint Potentien, le patron de la ville. Et pour que les personnes âgées puissent s’y rendre, il fit également aménager une main courante le long des escaliers du chemin qui y mène.

Edme Champion se consacra également au grand projet de son temps destiné aux gens modestes : les Caisses d’épargne, dont il fut un membre bénévole de 1835 à 1841. Nées en 1818 d’une initiative philanthropique privée, les Caisses d’épargne, outil de prévoyance sans précédent, passèrent progressivement sous la tutelle de l’État qui y voyait une source de revenus mais avant tout un remède moral à la misère : les gens modestes épargnaient en toute sécurité à un taux annuel d’environ 4 % pour leurs vieux jours, se détournant ainsi de la boisson et du jeu. Le placement d’un franc par semaine pendant trente-deux ans permettait de disposer de 3000 francs. Face à la défiance de nombres d’ouvriers qui craignaient d’être dépossédés de leurs économies, Champion fit la promotion des Caisses d’épargne en invoquant sa propre extraction ouvrière. Bénéficiant d’une large publicité, dès l’école primaire, les Caisses d’épargnes connurent finalement un grand succès populaire.

Edme Champion accéda à la notoriété. La presse se fit l’écho de ses actions de bienfaisance puis, en 1831, il fut décoré de la Légion d’Honneur par Louis-Philippe. Enfin, le peuple de Paris lui témoigna sa gratitude : en 1848, alors qu’il ne faisait plus de politique depuis la Révolution et qu’il n’était pas candidat, il recueillit, aux élections législatives, 40 000 suffrages. Il ne fut pas élu mais le soutien populaire était clair.

Edme Champion dit « Le petit manteau bleu »

VI – La personnalité d’Edme Champion – Edme Champion fut un personnage original, inclassable.

Tel un héros balzacien, il était un provincial ambitieux venu faire fortune à Paris. Mais l’analogie s’arrête là : il garda le mode de vie d’un petit bourgeois et se consacra à la bienfaisance à la fin de sa vie professionnelle.

Fidèles à l’esprit catholique et bourgeois, ses biographes voulurent transmettre l’image quasi christique d’un Edme Champion multipliant les soupes et les pains pour les bons pauvres et s’employant à faire revenir dans le droit chemin les ivrognes et les paresseux. Pourtant, on ne trouve aucune référence religieuse dans son engagement.

Edme Champion fut résolument un homme des Lumières pour qui la vertu sociale était cardinale et la philanthropie, amour des hommes pour l’homme, visait à instruire, à augmenter les ressources et les richesses, à promouvoir l’hygiène publique et la protection sociale. Mais, encore une fois, il s’échappe du cadre : la philanthropie de son temps se concevait dans le cadre de sociétés. Or, Edme Champion agissait seul.

Cette marginalité valut à Champion des critiques. Ses détracteurs virent en lui un homme assoiffé de gloire ou un subversif s’opposant au pouvoir. Ils condamnèrent vivement sa demande, finalement rejetée, d’ajouter Le petit manteau bleu à son patronyme comme une marque de vanité. Qu’Edme Champion attendît une reconnaissance sociale pour son action, c’est probable. Mais plutôt que de l’en blâmer, il faut plutôt y voir quelque chose de banal, voire de normal, comme nous y invite les études sociologiques désignant le don et le contre-don comme des éléments structurant des communautés humaines.

Edme Champion succomba aux suites d’une crise d’apoplexie en 1852, à l’âge de 88 ans, dans son village de Châtel-Censoir où il fut d’abord enterré, avant que son corps soit transféré, auprès de sa femme, au cimetière du Père Lachaise à Paris. Il repose désormais, à son insu, dans le cimetière de célébrités.

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