Commentaire de lecture : Walden – Henry David Thoreau

cropped-cropped-anciennemachine

En lien avec : Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau

Walden est un éloge de l’autonomie, de la liberté, de la sobriété et de la recherche du bonheur. Thoreau invite ses lecteurs à jouir du plaisir de vivre dans la contemplation et l’intelligence de la Nature. L’expérience qu’il a poursuivie pendant deux ans n’avait rien à voir avec un isolement total du reste de l’humanité. Il s’agissait d’une tentative de retrouver la vérité de la vie, dépouillée de ses aspects factices, de retrouver la résonnance de l’homme avec la nature dont il est issu.

*

Thoreau décrit en détail les principaux aspects de son expérience de vie dans les bois près de l’étang de Walden. Il nous ouvre son monde intérieur, nous fait découvrir l’acuité avec laquelle il perçoit les sons, les lumières, la vie végétale et animale, nous fait partager les leçons qu’il tire des phénomènes et des événements dont il est le témoin.

La principale conclusion de son expérience est qu’il est souhaitable de ne pas consacrer sa vie à un métier, qu’il soit éreintant ou intellectuel, qu’il consiste à cultiver la terre ou à enseigner à l’université. Mieux vaut limiter au maximum son temps de travail en réduisant ses besoins matériels au strict nécessaire pour pouvoir satisfaire les besoins de l’âme. L’écart entre ce que l’on désire et ce que l’on possède est plus facile à combler en désirant moins qu’en travaillant à avoir toujours plus. Ainsi, en désirant peu on est riche, en désirant beaucoup, on se condamne à la pauvreté.

Plutôt que de travailler plus pour gagner plus en étant malheureux toute sa vie, Thoreau propose de désirer moins de biens matériels pour travailler moins ce qui permet de réduire également ses besoins notamment alimentaires. Le travail tel que le conçoit Thoreau, la chasse, la pêche, la culture de plantes potagères ne doit pas être pénible, contraignant ni aliénant. Il doit constituer un loisir, un plaisir, une communion avec la nature. Il défend la même logique à l’échelle de la société et plaide pour que la Nouvelle Angleterre renonce à se doter de toujours plus d’infrastructures inutiles et coûteuses et choisisse, à la place, de financer l’éducation de ses concitoyens. En publiant Walden en 1854, Thoreau ébauchait avec 150 ans d’avance ce que nous appelons aujourd’hui la décroissance. Il ne s’agissait pas alors de préserver l’environnement ni les ressources de la planète mais simplement d’être heureux.

*

Ce plaidoyer pour un autre modèle de vie laisse pourtant en suspens un certain nombre de questions.

Tout d’abord, si Thoreau nous dit avec lyrisme pourquoi il a commencé son expérience, je suis parti dans les bois pour vivre intensément, aspirer toute la moelle de la vie et ne pas constater au moment de mourir que je n’avais pas vécu, il ne dit rien des raisons pour lesquelles il y a mis un terme. On aurait pu penser qu’il avait trouvé un équilibre de vie, un bonheur supérieur à celui que lui procurait sa vie de citadin. Lorsqu’il raconte comment il essaya de convaincre John Field, un Irlandais travaillant dur dans les tourbières, de suivre son exemple, il semblait avoir trouvé une voie vers un bonheur accessible à tous les hommes. Dans ces conditions, pourquoi est-il reparti vivre à Concord ? Son expérience a-t-elle finalement été un échec ? Nous n’en saurons rien.

Une autre question qu’on peut adresser à Thoreau concerne le caractère généralisable de ses propositions. Il avait fait des études à Harvard, maitrisait parfaitement le grec, le latin, le français et connaissait de nombreux auteurs de tous les pays, poètes, philosophes, écrivains. Il avait élaboré sa pensée grâce à l’accès au savoir que permettait la société de la Nouvelle Angleterre de la première partie du XIXe siècle, aussi hypocrite fût-elle. La sagesse que Thoreau avait acquise dans ce contexte lui avait donné le goût d’une vie sobre et poétique, et l’avait poussé à rechercher un équilibre dans une communion avec la nature. Mais les concitoyens qu’il essayait de convaincre étaient des gens simples dont l’objectif premier était avant tout de faire vivre leur famille. Leur bagage intellectuel ne leur permettait pas de s’épanouir dans la contemplation de la nature et dans la poésie. Si Thoreau évoque à plusieurs reprises l’importance qu’il accorde à l’éducation, à l’accès aux livres et à l’écriture, il ne dit pas comment l’économie de l’essentiel qu’il préconise permettrait de financer l’organisation de la transmission du savoir. Or, sans un niveau d’éducation permettant d’avoir une vie intérieure suffisamment riche pour accepter la pauvreté matérielle, l’existence qu’il propose ne peut s’envisager.

Par ailleurs, comme beaucoup de philosophes de renom, Thoreau mena une vie solitaire, sans femme ni enfants et il n’avait visiblement pas pour projet de fonder une famille. La portée de son expérience est donc limitée à l’individu solitaire. Comment imaginer des parents qui, pour mener une existence poétique et conforme à leurs aspirations, feraient délibérément vivre leurs enfants au milieu des bois dans le dénuement et la précarité ?

Enfin, Thoreau présente la vie dans les bois comme un retour à la pureté et à l’innocence originelles en ignorant le fait que les individus éprouvent naturellement le besoin de se rassembler pour former des communautés, des villages, des villes. La vie en société n’a rien d’artificiel. Elle est le résultat d’un tropisme lié à la recherche d’une vie plus sûre et plus facile. Au sein d’une société chacun se spécialise : le bûcheron fournit le bois, le charpentier construit des maisons, l’agriculteur produit des denrées, le commerçant assure la distribution de produits, le médecin soigne les malades, l’instituteur instruit les enfants, le policier fait respecter la loi, le soldat défend le territoire contre les agresseurs extérieurs…. Chaque individu met son savoir-faire au service de ses concitoyens et bénéficie en retour de leurs compétences spécifiques. Ainsi, au prix d’une perte d’autonomie, chacun a accès à des produits et des services de bien meilleure qualité que s’il était livré à lui-même.

En termes darwiniens, l’attraction des villages et des villes vient du fait que les individus qui y vivent optimisent leurs chances de survie et de reproduction. A ce titre la vie citadine est paradoxalement plus naturelle que l’existence solitaire dans les bois. Pour cette raison également, il est peu probable qu’une part significative de la population des villes prennent la direction de la forêt.

*

Thoreau a vécu, pendant les deux années qu’il a passées dans les bois, des expériences uniques qui ont certainement changé sa vision de la vie. Ce n’est certainement pas tout à fait le même homme qui a quitté Concord en juillet 1845 et qui y est revenu en septembre 1847. Ce séjour initiatique qu’il nous a fait partager est une aventure humaine, philosophique, poétique, destinée à mieux distinguer l’essentiel de l’accessoire, l’authentique du factice, le vrai du faux.

L’expérience décrite dans Walden n’est pas un projet de vie ni un projet de société mais une quête de vérité et d’authenticité que Thoreau nous invite à partager.

En lien avec : Walden ou la vie dans les bois de Henry David Thoreau

Une réflexion sur “Commentaire de lecture : Walden – Henry David Thoreau

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s