Lionel Duroy a donné une conférence le 1er octobre 2022 au festival du livre de Talloires LirOLac pour présenter son livre, Disparaître, mais aussi pour parler de sa carrière et de sa vision de la littérature.
La démarche d’écriture
Lionel Duroy nous donne son parti pris d’écrivain : tout dire, ne rien cacher. Ce choix n’est pas sans conséquence. Ses frères et soeurs se sont détournés de lui et un de ses enfants lui a fait un procès. Le reproche était toujours le même : pourquoi ne fais-tu pas des livres comme tout le monde plutôt que de raconter l’histoire de la famille ? Certaines anciennes compagnes lui reprochent également de mettre au grand jour leur intimité passée. Lionel Duroy répond que les années passées dans un contexte familial ou auprès d’une compagne ont contribué à construire sa vision de la vie et de l’amour. Il est logique de faire apparaitre dans ses romans des personnages de sa vie.
Il comprend que ses enfants puissent être choqués par cette démarche. A vingt ou trente ans, on n’est pas mûrs pour être confronté à la réalité de la vie de ses parents. Ce n’est que vers cinquante ou soixante ans, lorsqu’ils ont disparu, qu’on éprouve l’envie de savoir qui ils étaient vraiment. Aussi Lionel Duroy recommande à ses enfants de ne pas lire ses livres.
La littérature et le vélo comme remèdes à la déprime
Lionel Duroy se sent redevable envers la vie depuis que ses frères et lui ont survécu à une très grave maladie dans leur enfance. A vingt ans alors qu’il était déprimé, un ami lui fit découvrir le vélo. Il mit tout son argent dans un vélo Singer sur mesure et partit dans l’Atlas marocain. Il revint écrivain. Il écrira plus tard : L’homme qui pédale comme l’homme qui écrit n’a plus à se sentir coupable d’exister. Il paie sa dette à chaque coup de pédale, à chaque phrase qu’il écrit. Lionel Duroy aime comparer ces deux activités. Dans un cas comme dans l’autre, l’homme est seul face à un défi, conscient qu’il joue sa vie, qu’il doit aller jusqu’au bout, que s’il abandonne, il ne s’en remettra pas.
La paternité
Lionel Duroy se définit comme un père approximatif. Son père malade et sa mère suicidaire ne furent pas présents pour lui dans son enfance et son frère ainé devint chef de famille. Lorsqu’il lui avoua qu’il voulait être écrivain, ce père de substitution obtus lui répondit qu’il devait être comptable, pour gagner de l’argent. Cette réponse lui est apparue d’une grande bêtise. Sans vrai repère issu de son enfance, Lionel Duroy juge difficile l’apprentissage du rôle de parent. Il fut un père non autoritaire qui ne trouvait pas la solution aux problèmes de ses enfants. Un père flottant.
Aller à Stalingrad en vélo
Disparaitre est le récit d’un projet fou pour un homme qui a passé soixante-dix ans : faire cinq mille kilomètres en vélo pour aller à Stalingrad depuis la France. Le choix de cette destination s’explique par l’histoire : la bataille de Stalingrad est le tournant de la guerre. Cette guerre que Lionel Duroy n’a pas connue mais dont il constate les conséquences dès l’enfance : une Europe coupée en deux, Auschwitz et Stalingrad. Il considère que les deux millions de morts de Stalingrad ont été tués une deuxième fois lorsque la ville fut renommée Volgograd. A-t-on jamais pensé à rebaptiser Verdun Fontenay sur Meuse ?
Lionel Duroy, alors qu’il venait de fêter ses soixante-dix ans sortit son vélo Singer de ses vingt ans et le fit remettre en état. Il savait qu’il allait partir mais il tut sa destination à ses enfants. Ils n’auraient pas compris et auraient essayé de l’en dissuader.
Références littéraires
Le projet de Lionel Duroy a été nourri par des lectures. Parmi ses auteurs favoris d’Europe de l’Est, il cite Petru Dumitriu, l’écrivain officiel du parti après l’arrivée au pouvoir des communistes en Roumanie en 1949. Appartenant à l’élite du régime, il se voit attribuer une belle maison et une belle voiture. Mais en secret, il écrit de vrais livres et prépare sa fuite à l’ouest. Il se rend à Berlin Est avec sa famille à l’exception d’une de ses filles qu’il confie à la soeur de sa femme. Laisser un membre de sa famille au pays était un préalable pour être autorisé à voyager. Au point de contrôle, il trompe les gardes, quitte la zone soviétique et gagne Berlin Ouest. Il s’établira ensuite en France où il publiera plusieurs livres. Sa fille restée en Roumanie ne rejoindra sa famille en France que cinq ans plus tard.
Un autre ouvrage nourrit le projet de Lionel Duroy : Europolis de l’écrivain roumain Eugeniu P. Botez publiant en France sous le nom de Jean Bart. Il y décrit la ville de Sulina située dans l’estuaire du Danube dans la Mer noire. Alors que les Turcs et les Roumains n’avaient pas les moyens techniques pour draguer le Danube, la ville de Sulina fut créée dans les années 1870 pour accueillir les hommes venus de toute l’Europe qui allaient effectuer l’entretien du fleuve. Elle sortit de terre après la création de la Commission européenne du Danube, la première institution européenne. Avec ses sept rues remplies de maisons, de cinémas, d’églises de tous les cultes, la ville était florissante au début du XXe siècle.
Sur les traces de Jean Bart, le voyage vers Stalingrad emmena Lionel Duroy à Sulina. Accessible uniquement par bateau, la ville est aujourd’hui en ruine. Après la dissolution de la commission en 1939, la guerre eut raison de sa prospérité et ses habitants la quittèrent. Aujourd’hui, parmi les rares habitants, un fermiers élève des vaches et des chevaux vivent en liberté. Sulina est l’endroit rêvé pour disparaitre, ce qui était à l’origine le projet de Lionel Duroy.
Lorsqu’on voyage en Europe de l’Est en dehors de l’Union européenne, ont s’aperçoit qu’il est facile de disparaître. Dans ces pays, si l’on tombe de vélo, personne ne vous ramasse. La pauvreté des habitants y rend la mort courante, banale.
Finalement, il n’a pas atteint Stalingrad mais nous dit qu’il a atteint le but personnel qu’il s’était fixé.