Éric-Emmanuel Schmitt était le 2 octobre 2022 au festival du livre de Talloires LirOLac. Il a présenté l’œuvre ambitieuse qui l’occupe actuellement : La traversée des temps, l’histoire de l’humanité en huit volumes. Il a également parlé de littérature, de la vision qu’il en a et du processus créatif.
Le processus créatif
Éric-Emmanuel Schmitt nous dévoile que dans son œuvre, l’histoire commande toujours la forme. Comme en peinture. Les premières histoires qu’il a imaginées étaient des crises. Le théâtre était donc la forme la mieux adaptée. Puis le roman s’est imposé.
Son père alsacien, le premier de sa famille à parler français sans accent, s’exprimait dans une langue très soutenue et érudite, qu’il sut communiquer à ses enfants.
Le parcours de l’écrivain
Après avoir intégré l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm en lettres classiques, Éric-Emmanuel Schmitt bifurqua et devint agrégé de philosophie. Enseigner l’œuvre des grands auteurs français ne lui aurait pas permis d’être lui même écrivain. La comparaison l’empêchait de travailler sereinement à ses textes. Il enseigna donc la philosophie dont les principales figures, géniales sur le plan des idées était de piètres écrivains. Ce choix lui permit d’écrire une œuvre littéraire.
Pour autant, il n’a jamais tourné le dos à la philosophie. Dans toute son œuvre, il déploie une réflexion philosophique sous forme romanesque. Oscar et la Dame rose est une réflexion sur l’amour de la vie, fragile et provisoire. À ceux qui lui reproche l’emploi de trop nombreuses formules, le qualifiant parfois de fontaine à formules, il répond par la citation de Jean Cocteau : Cultive ce qu’on te reproche, c’est toi.
La traversée des temps. De quoi s’agit-il ?
Éric-Emmanuel Schmitt eut l’idée de raconter l’histoire de l’humanité à l’âge de vingt-cinq ans. A cette époque, il ne disposait pas des connaissances nécessaires en économie, en technique, en histoire… Sa thèse sur Diderot, père de l’Encyclopédie, lui avait fait découvrir l’esprit encyclopédique, la volonté d’apprendre, sans hiérarchiser les savoirs. Grâce à cet esprit, Éric-Emmanuel Schmitt a acquis les connaissances requises pour son entreprise. À la mort de sa mère, il réalisa qu’il était mortel et qu’il ne devait pas retarder l’écriture d’une œuvre d’une telle ampleur. Fort d’une confiance en lui qu’il n’avait pas dans sa jeunesse, il entreprit l’écriture de ce roman.
L’histoire est celle de Noam, un garçon né il y a huit mille ans au bord d’un lac en Ukraine. La montée des eaux de la Méditerranée sur une hauteur de cent neuf mètres transforme ce lac en mer, la Mer Noire. Noam voit la terre de son enfance engloutie. À l’époque, les hommes se considèrent comme des animaux et n’ont pas pour projet de se rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. À l’âge de vingt-cinq ans, un événement rend Noam immortel, le condamnant à voir disparaître les gens qu’il aime. Le pari est qu’à la fin du 8e volume, le lecteur prenne conscience de son bonheur d’être mortel et qu’il aime la vie dans sa fragilité.
Le premier volume se déroule il y a huit mille ans lorsque nos ancêtres chasseurs cueilleurs se sédentarisent, à l’époque du déluge relaté dans plusieurs récits religieux. Le deuxième volume se déroule il y a quatre mille ans en Mésopotamie, à l’époque de la Tour de Babel et de l’invention de l’écriture. La civilisation mésopotamienne est restée inconnue jusque dans les années 1950. Avant cela, on apprenait à l’école que la civilisation égyptienne était la plus ancienne. Le troisième volume qui sera prochainement publié, se déroule du temps de Moïse, au sein de la civilisation égyptienne à Memphis.
Le travail d’écrivain
L’éditeur a accueilli le projet ambitieux de Éric-Emmanuel Schmitt dont il connait la discipline d’écriture avec enthousiasme. L’architecture de l’histoire a été élaborée de façon précise dans la tête de l’auteur, sans note. Il n’en prend jamais, considérant que la mémoire est une question de concentration.
La vocation, le plaisir, les partis pris d’écriture
La vocation de Éric-Emmanuel Schmitt pour l’écriture remonte à sa lecture du chef d’oeuvre d’Alexandre Dumas Les Trois Mousquetaires qui lui a également donné le goût des romans généreux, riches en personnages, en rebondissements, en surprises. Il regrette que la littérature française contemporaine s’écarte de la voie tracée par des auteurs comme Dumas, Hugo ou Balzac. Pour lui, ce constat est lié à l’héritage du nouveau roman et à une sur évaluation de l’auto fiction par les critiques.
Avant de faire partie de l’Académie Goncourt, Éric-Emmanuel Schmitt lisait peu de littérature française contemporaine. Il avoue néanmoins prendre plaisir à découvrir des ouvrages n’appartenant pas à son type d’écriture.
Le théâtre
Être joué à la Comédie Française s’accompagne de contraintes, notamment livrer une pièce à une échéance précise pour une programmation limitée dans le temps, quel que soit son succès, et être en bons termes avec le comité de relecture. Éric-Emmanuel Schmitt après de premiers contacts, a répondu à l’institution : vous ferez comme pour les autres, vous me jouerez quand je serai mort. Dans les théâtres privés, les choses sont beaucoup plus simples et les pièces qui ont du succès sont prolongées.
La représentation d’une pièce est comparable à un iceberg : les dialogues sont la partie émergée, soit dix pour cent du volume. Le reste, constitué notamment de la mise en scène et du jeu des acteurs, sont les quatre-vingt dix pour cent immergés, indispensables pour que l’ensemble flotte sur l’eau.
Optimiste ou pessimiste ?
Éric-Emmanuel Schmitt se qualifie d’optimiste tragique. Il perçoit le progrès de l’humanité non pas dans le mal mais par le mal. Seules les catastrophes permettent de prendre les dispositions nécessaires pour empêcher leur répétition. Concernant le climat, les horreurs qui se préparent feront réagir l’humanité.
Un caméléon croyant et universaliste
Pour se mettre dans la peau de personnages très différents, Éric-Emmanuel Schmitt a pour principal atout l’empathie. Il sait se mettre à la place. Dans La femme au miroir, il a su se projeter dans le personnage d’une femme de façon parfaitement crédible. Considérant que la littérature mène à l’universalisme, Éric-Emmanuel Schmitt fait tomber les murs et les frontières, devenant russe lorsqu’il lit un roman russe, japonais lorsque l’ouvrage est japonais. La traversée des temps n’est pas un roman national mais un roman universel.
L’universaliste fut scandalisé d’apprendre que la traductrice de Toni Morrison avait été attaquée parce qu’elle n’était pas noire. En tenant de tels raisonnements personne n’aurait jamais rien écrit. Cette réaction communautariste fait écho à ce qui se passe sur les réseaux sociaux où les gens s’insultent au lieu de débattre.
Éric-Emmanuel Schmitt voit l’humanité comme un but. L’homme n’est pas qu’un bipède sans plume. Il affirme sa foi depuis sa nuit de feu dans le désert du Sahara au cours de laquelle l’athée qu’il était est devenu croyant . Il ne savait rien de plus mais son ignorance angoissée s’était transformée en ignorance sereine.
Merci pour ce résumé de la rencontre. Grande frustration qu’elle ne soit pas disponible en ligne.
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