Les califes maudits, Tome 2. A l’ombre des sabres – Hela Ouardi

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Les califes maudits. A l’ombre des sabres

Sachez que le paradis se trouve à l’ombre des sabres – Hadîth du Prophète

I – Le fer et le feu – Le doute s’était dissipé dans l’esprit du premier calife. Abû Bakr avait accepté de poursuivre l’œuvre du Prophète en portant le poids de la malédiction de Fâtima. La fille de Muhammad était morte peu après son père sans lui avoir pardonné la confiscation de son héritage au profit de la communauté. Abû Bakr, intraitable, avait justifié cette décision en citant Muhammad : un prophète n’a pas d’héritage. Peu après, invoquant cette même loyauté, le calife maintint l’expédition d’Oussâma ordonnée par le Prophète quelques jours avant sa mort, restant sourd à l’opposition de plusieurs de ses proches, notamment de ‘Umar, qui craignaient de laisser Médine sans défense face aux tribus arabes ayant apostasié après la mort du Prophète.

Oussâma allait-il combattre l’armée de Byzance, des tribus apostâtes ou s’agissait-il de brigandage ? Les textes divergent. Toujours est-il que la décision d’Abû Bakr fut un coup de génie. Il montra sa fidélité au Prophète, éloigna Oussâma de Médine, anticipant  son possible ralliement aux partisans de la désignation de ‘Alî comme calife, mais surtout, l’expédition impressionna des tribus prêtes à apostasier et rapporta un important butin.

Depuis la mort du Prophète l’emprise de l’islam sur la péninsule arabique vacillait. Abû Bakr, que beaucoup de tribus ne reconnaissaient pas comme successeur du Prophète, partit en guerre contre les apostats, désignant ainsi les tribus qui s’étaient détournées de l’islam à la mort de Muhammad, celles restées musulmanes mais qui refusaient de lui payer l’aumône légale, la zakât, mais aussi celles qui n’avaient jamais embrassé l’islam. Le premier calife s’apprêtait ainsi à jeter les bases d’un phénomène appelé à un bel avenir : non pas la politisation de l’Islam, mais l’islamisation de la politique.

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Le premier ennemi qu’Abû Bakr combattit fut Tulayha ibn Khuwaylid qui, après s’être déclaré prophète, fut rejoint par de prestigieuses tribus. Les ralliements s’intensifièrent à la mort de Muhammad. Les soldats de Tulayha attaquèrent Médine après le départ de l’armée d’Oussâma. Ils furent toutefois repoussés par les médinois qui poursuivirent leurs assaillants jusqu’à leur base arrière de Dhû l-Hussâ où ils furent à leur tour repoussés. Abû Bakr, resté à Médine, contre-attaqua immédiatement et prit Dhû l-Hussâ.

A son retour à Médine, le calife confia à Oussâma la protection de la ville et prit la tête d’une opération militaire d’envergure, contre l’armée de Tulayha. Après plusieurs batailles, l’armée du calife s’empara du camp de Dhû l-Qassa et de toute la région. Les vaincus rejoignirent Tulayha à son quartier général de Buzâka.

Avant de quitter Dhû l-Qassa pour Médine, le calife chargea plusieurs de ses généraux d’aller combattre des tribus apostâtes dans différentes parties de la péninsule, confiant la plus grosse troupe à Khâlid ibn al-Walîd. Issu d’une famille de militaires et d’un prestigieux clan qurayshite, Khalid avait pris part à nombreux combats où son courage lui avait valu d’être surnommé par le Prophète le glaive dégainé d’Allah. Abû Bakr lui avait donné des instructions claires : il devait enjoindre les tribus apostâtes de revenir à l’Islam et ne combattre que celles qui refusaient de se soumettre ou celles qui, restées musulmanes, refusaient de payer la zakat.

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Khâlid partit pour Buzâka, la ville de Tulayha. A l’issue de combats sanguinaires en septembre et octobre 632, les musulmans remportèrent la victoire. Tulayha prit la fuite. Certains de ses alliés se rendirent à Khâlid. Deux chefs rebelles, envoyés à Médine, implorèrent le calife d’accepter leur allégeance et furent épargnés. Apprenant la nouvelle, Tulayha se déclara musulman et fut, lui aussi, pardonné.

D’anciens alliés de Tulayha se rassemblèrent autour de Umm Ziml pour livrer bataille à Khâlid. Cette femme puissante était la fille d’Umm Qirfa, une célèbre poétesse jadis écartelée par Zayd, l’ex-fils adoptif du prophète, pour avoir refusé de se convertir. Khâlid fut victorieux après avoir tranché la tête d’Umm Ziml.

Il s’attaqua ensuite aux Banû Tamîm, une tribu musulmane dont certains de ses chefs refusaient de payer la zakat. Le chef du clan des Yarbû’, Mâlik ibn Nuwayra était marié à l’une des plus belles femmes d’Arabie. Lorsque l’armée de Khâlid approcha, Mâlik renvoya ses soldats chez eux pour éviter l’affrontement. Aucun combat n’eut lieu mais Mâlik et ses proches furent faits prisonniers et amenés au campement de Khâlid. Dans la soirée, Mâlik, en présence de sa femme, parlementa avec Khalid sous la tente tandis que les autres prisonniers attendaient dehors. Apprenant qu’ils grelottaient, Khâlid ordonna de chauffer les prisonniers. L’ordre fut mal interprété. Tous furent décapités. Peu après, Khâlid décapita Mâlik et déclara à sa femme qui avait assisté à la scène Ce soir tu es ma femme. Les têtes coupées servirent alors de chenets pour soutenir les marmites du camp au-dessus des feux et certains textes affirment que Khâlid mangea la tête de son ennemi. Il est fort possible qu’il n’ait décidé de combattre les Banû Tamîm que pour s’approprier la femme de Mâlik. Cet épisode fit grand bruit à Médine. Tuer des musulmans, profaner leurs dépouilles et violer leur femme n’était pas admissible, même de la part du Glaive dégainé d’Allah. Abû Bakr convoqua Khâlid à Médine pour lui reprocher sa conduite et son mariage avec la femme de Mâlik. Toutefois, malgré les protestations de ‘Umar, il le maintint à la tête de son armée et lui donna des instructions concernant de futures opérations militaires.

Les califes maudits. A l’ombre des sabres

II – Le jardin de la mort – Lorsqu’Abû Bakr devint calife, la principale menace qui pesait sur le jeune État islamique avait pour nom Musaylima ibn Habîb. Issu de la tribu des Banû Hanîfa implantée à Yamâma, il s’était déclaré Prophète bien avant Muhammad, affirmant recevoir ses instructions de l’archange Michel.

En 630 et 631, de nombreuses délégations avaient fait allégeance à Muhammad. Musaylima accompagnait celle des Banû Hanîfa mais il resta volontairement en dehors de Médine et ne rencontra pas le Prophète. Lorsque, de retour dans leurs foyers, les délégués des Banû Hanîfa enseignèrent l’islam, de nombreux membres de la tribu furent effrayés par ses exigences. Musaylima décida alors que sa religion serait moins exigeante : il réduisit le nombre des prières quotidiennes de cinq à trois, autorisa la fornication et la consommation de vin. Puis, Musaylima envoya un émissaire à Muhammad pour lui proposer un partage : chacun serait le prophète d’une moitié de l’humanité. Le maître de Médine refusa mais mourut peu après.

Une femme du nom de Sajâh bint al-Hârith ibn Suwayd, surnommée Umm Sâdir, qui se déclarait prophétesse elle aussi, rejoignit Musaylima avec son armée. Leur première entrevue se passa si bien qu’elle accepta de l’épouser. Leur union fut scellée par des jeux érotiques poussés. Trois jours plus tard, Sajâh retourna à son campement et Musaylima lui donna une grosse somme d’argent pour qu’elle parte afin qu’il puisse se concentrer sur l’armée du calife qui approchait.

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Comme le lui avait demandé Abû Bakr à Médine, Khâlid partit pour Yamâma combattre Musaylima. L’affrontement eut lieu en décembre 632. Alors que les combats tournaient à l’avantage de Musaylima, Khâlid parvint à galvaniser ses troupes jusqu’à la trêve du soir. Les pertes étaient énormes. Zayd le frère de ‘Umar était mort ainsi que de nombreux compagnons qui connaissaient le Coran par cœur. Khalid joua son va-tout. Alors que son adversaire pensait avoir partie gagnée, il lança une attaque surprise tôt le lendemain.

Les Banû Hanîfa ne purent résister à l’assaut. Musaylima ordonna à ses hommes de se réfugier dans un grand jardin, ceint de haut murs, qui lui servait de quartier général. L’armée de Khalid parvint à y pénétrer. Sept mille hommes dont mille deux cents musulmans trouvèrent la mort à l’intérieur et à l’extérieur du verger que la Tradition nomme le jardin de la mort. Alors qu’il fuyait, Musaylima fut traversé par le javelot de Wahshî, l’esclave abyssin qui avait tué Hamza, l’oncle du Prophète, lors de la bataille d’Uhud, avant sa conversion. Après la mort de Musaylima, il déclara : finalement, j’aurai tué le meilleur et le pire des hommes.

Amère victoire pour l’armée du calife, très affaiblie. Le prisonnier envoyé par Khâlid pour négocier la reddition de Yamâma, lui affirma que de nombreux soldats stationnaient toujours dans la ville et parvint à lui faire revoir à la baisse ses exigences : les habitants ne lui donneraient pas la moitié mais le quart de leurs biens. En revanche, comme il l’avait exigé, Khâlid aurait la maison et le verger. Mais en entrant dans Yamâma, il ne vit aucun soldat et réalisa qu’il avait été trompé. Malgré tout, il ne revint pas sur le traité et épousa la fille de l’un des chefs adverses, la plus belle femme de la ville.

En apprenant le profit personnel qu’avait tiré Khâlid de la mort de tant de musulmans, Abû Bakr lui adressa une lettre de réprimandes dans laquelle il lui ordonnait également de quitter Yamâma pour l’Irak. Il ne pouvait se passer des services d’un tel chef de guerre.

Abû Bakr était également préoccupé par la conservation du Coran alors que ceux qui le connaissait par cœur mouraient en grand nombre. ‘Umar lui proposa de tout consigner par écrit, ce qui fut fait. Ce premier Coran fut confié à Hafsa, fille de ‘Umar et femme du Prophète. Il n’est pas arrivé jusqu’à nous.

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Dans plusieurs régions de la péninsule, la situation était devenue confuse. Au Bahrayn, un roitelet local al-Mundhir ibn Sâwî, et sa tribu, les ‘Abd al Qays, s’étaient convertis à l’islam du vivant de Muhammad. Après la mort du Prophète, ils étaient restés musulmans, reconnaissant l’autorité du calife. La tribu rivale des Bakr ibn Wâ’il, n’avait jamais vraiment embrassé l’islam. Elle se souleva contre les ‘Abd al-Qays à la mort du Prophète et reçut le renfort de troupes perses. Répondant au devoir d’aider les Musulmans où qu’ils soient, Abû Bakr envoya Al-‘Alâ ibn al-Hadhramî au secours des ‘Abd al-Qays. L’armée califale mit en déroute celles des Bakr ibn Wâ’il qui se dispersa et dont une grande partie se retrouva sur l’ile qui constitue aujourd’hui l’État du Bahreïn. Le butin amassé fut considérable mais la situation politique au Bahrayn resterait instable.

A Oman, peuplé en majorité par la tribu des Azd ‘Umân, le roi autoproclamé al-Julandî tenait entre ses mains le pouvoir politique et le pouvoir religieux. A sa mort, ses fils, Jayfar secondé par son frère ‘Ubad lui succédèrent et se convertirent à l’islam sous l’influence d’émissaires envoyés par Muhammad. A la mort du Prophète, le rival des frères Julandî se révolta avec une grande partie des Azd qui avaient renié l’islam. Le calife dépêcha trois de ses chefs de guerre. La bataille, d’abord mal engagée pour les musulmans tourna à leur avantage grâce au renfort in extremis de membre de la tribu des ‘Abd al Qays et des Banû Nâjiya.

A Mahra, le même scénario, désormais habituel, se reproduisit. Le chef de guerre envoyé par le calife, ‘Ikrima ibn Abî Jahl, s’allia à ceux qui faisait acte de conversion pour massacrer ceux qui refusaient de se soumettre.

*

Le Yémen, peuplé de plusieurs tribus aux ramifications complexes, était une zone de grande instabilité. A la cohabitation difficile entre païens, chrétiens et juifs, antérieure à l’Islam, s’ajoutait une position géographique qui en faisait le théâtre de la rivalité entre l’empire perse et l’Abyssinie chrétienne alliée à Byzance. La quasi-intégralité du Yémen était dirigée depuis San‘â’ par son gouverneur perse, Bâdhân. Sa conversion à l’islam suivie par plusieurs personnages locaux influents avait suscité des tensions que le gouverneur était parvenu à contenir. A sa mort, le Prophète désigna son fils Shahr comme successeur et envoya des Compagnons, au Yémen et dans l’Hadramaout voisine, pour conserver une emprise religieuse et assurer le paiement de la zakat.

Aswad al-‘Ansî, homme charismatique qui venait de se déclarer prophète, suivi par des seigneurs locaux, prit la tête d’un soulèvement. Il tua Shahr, épousa sa femme, mais fut égorgé pendant son sommeil, sur ordre de Muhammad, laissant le Yémen plus divisé que jamais. Qays ibn Makshûh, l’un des trois hommes qui avaient organisé l’assassinat décida de jouer sa carte. Il s’empara brièvement de San‘â’ avant d’en être chassé par Fayrûz, celui qui, parmi les trois assassins d’Aswad, avait porté le coup fatal.

Voyant la situation dégénérer, Abû Bakr envoya un de ses généraux, Muhâjir, au Yémen. Il parvint à capturer Qays ibn Makshûh. Envoyé à Médine, il fit allégeance au calife et fut gracié. Muhâjir poursuivi sa route vers l’Hadramaout où l’agent du Prophète, Ziyâd ibn Labîd ne parvenait plus à faire payer la Zakat. La population restée musulmane refusait de payer un impôt à Abû Bakr dont elle ne reconnaissait pas la légitimité. A la tête de l’insurrection, un certain Ma‘dîkarib ibn Qays surnommé al-Ash‘ath, l’Hirsute, refusait catégoriquement que sa tribu des Kinda payât un quelconque impôt à celle de Quraysh.

Après une attaque particulièrement sanguinaire de l’armée musulmane, les troupes d’al-Ash‘ath, pourtant en infériorité numérique, assiégèrent les musulmans dans la ville de Tarîm. Finalement le calife envoya ‘Ikrima dont l’armée délivra les assiégés. Al-Ash‘ath, envoyé à Médine, fit allégeance au calife, épousa sa sœur et fut enrôlé dans l’armé musulmane. Il n’était plus d’al-Ash‘ath l’hirsute mais ‘Urf al-Nâr, la crinière de feu.

Abû Bakr avait désormais soumis la péninsule. L’apostasie permit à l’islam de s’installer de façon stable en Arabie. Le calife regardait désormais vers l’Irak et la Syrie.

Les califes maudits. A l’ombre des sabres

III – Un étendard noir sur l’Irak et la Syrie – Abû Bakr reçut une demande d’aide d’un puissant bédouin, musulman, de la tribu des Bakr ibn Wâ’il, qui refusait de reconnaitre le nouveau gouverneur perse de la ville d’al-Hîra. Le calife saisit l’occasion de pénétrer au Sawâd, cette région fertile de l’actuel Irak, située entre le Tigre et l’Euphrate, limitée au Sud par le golfe Persique et au Nord par la ville d’al-Hîra qui constituait un verrou vers l’Empire sassanide. Il chargea Khâlid ibn al-Walîd de pénétrer au Sawâd par le sud, le général qurayshite ‘Iyâdh ibn Ghanm devant s’y rendre par le Nord. Leur rencontre devait se faire à d’al-Hîra.

Khâlid partit en avril 633 dans une expédition triomphale jalonnée d’innombrables bains de sang : à Kâdhima, il tua le gouverneur perse en combat singulier avant que ses hommes ne massacrent les soldats de l’armée adverse ; à Madhâr il mit en pièce l’armée perse dont une grande partie périt dans le Tigre ; à Ullays, il fit payer aux perses leur résistance en exécutant tous les prisonniers, colorant en rouge les eaux de l’Euphrate. Chaque fois, il s’appropriait les objets de valeur et le bétail, vendaient femmes et enfants comme esclaves et envoyait le cinquième du butin au calife. A al-Hîra, Khâlid n’eut pas à combattre. Les habitants acceptèrent de payer la jizya pour conserver leur religion. Enfin, il prit les places fortes d’al-Anbar puis de ‘Ayn al-Tamr où l’armée perse s’était regroupée. Khâlid avait soumis l’essentiel du Sawâd et amassé un butin colossal. Il répondit alors à l’appel au secours de ‘Iyâdh ibn Ghanm et fit route vers Dûmat al-Jandal où stationnait le général. Après avoir pris la ville, il décapita son chef dont il épousa la fille et poursuivit vers le Nord, jusqu’à Firâdh, où il extermina une armée composée de Perses, de Byzantins et de tribus arabes chrétiennes. En janvier 634, après dix jours sur place, Khâlid ordonna, sans justification, un repli vers al-Hîra.

Sur le chemin et après n’avoir mis dans la confidence que ses proches, Khâlid se rendit discrètement au pèlerinage de La Mecque puis rejoignit l’armée juste avant son entrée dans al-Hîra.  La Tradition est muette sur ce qu’il fit pendant ces quelques jours où il ne rencontra pas le calife qui présidait pourtant l’événement. Abû Bakr entra dans une terrible colère en apprenant cet irrespect de la part de son général.

A Médine, le calife pensait maintenant à la Syrie, territoire qui incluait la Palestine, la terre des Prophètes que Muhammad avait tenter de conquérir à la fin de sa vie. En décembre 633, il confia à l’un des premiers Compagnons du Prophète, Khâlid ibn Sa‘îd, une armée pour conquérir ce territoire de l’empire Byzantin. La campagne débuta par une victoire mais alors que Khâlid ibn Sa‘îd pensait pouvoir avancer vers Damas, il se heurta à une résistance qui transforma son aventure en déroute lors de la bataille de Marj al-Suffar.

De retour du pèlerinage qu’il avait présidé, très contrarié par ses deux généraux, Khâlid ibn Sa‘îd et Khâlid ibn al-Walîd, Abû Bakr reprit l’offensive en envoyant quatre armées de sept mille hommes combattre Héraclius, l’empereur byzantin. Mais, avançant en territoire ennemi, les troupes musulmanes s’aperçurent avec effroi qu’elles étaient à la merci d’une attaque des byzantins. Abû Bakr, averti de la situation, réalisa son erreur et dut se résoudre ordonner au Glaive dégainé d’Allah de voler à leur secours. Khâlid ibn al-Walîd, qui se trouvait à al-Hîra, apprit par le messager du calife qu’à Médine, ‘Alî avait épousé la nièce de Fâtima et ‘Umar avait violé puis épousé sa cousine, veuve du fils d’Abû Bakr. Khâlid bouillait : on lui reprochait ses mariages immoraux, mais ceux de ‘Umar et de ‘Alî étaient bien plus scandaleux. Malgré sa colère et les risques de la mission, il obéit au calife et quitta l’Irak en avril 634.

Pour éviter les embuscades des byzantins, Khâlid décida de traverser le terrible désert syrien bravant, la soif. Sur le conseil de leur guide, les soldats firent boire des chameaux puis les muselèrent pour les empêcher de ruminer. Lorsque la soif devenait insupportable, ils en égorgeaient un et buvaient l’eau de sa panse. Sur la fin de la traversée, ils trouvèrent miraculeusement de l’eau. Khâlid était devenu une légende vivante.

Une fois en Syrie, il rassembla trois des quatre armées envoyées par le calife, laissant isolée celle située au sud, en Palestine. Pour intimider les byzantins, il prit la ville de Bosrâ puis planta le drapeau noir du Prophète devant Damas pendant plusieurs jours sans prendre la ville.

Apprenant que plusieurs armées byzantines renforcées par des tribus arabes chrétiennes menaçaient les troupes musulmanes, Khâlid décida de rassembler ses forces en rejoignant son armée du sud pour un combat frontal qui eut lieu à Ajnâdayn. Une confrontation sanglante de plusieurs jours opposa trente mille musulmans à cent mille byzantins. Parmi les innombrables morts de part et d’autre, ‘Ikrima ibn Abî Jahl, le conquérant du Yémen. La victoire de l’armée du calife fut éclatante. Khâlid décapita de sa main le général ennemi, Vardan. Les byzantins se replièrent vers des places fortes. Il savait la victoire provisoire et la contre-attaque inévitable. La bataille décisive aurait lieu à Yarmûk deux ans plus tard.

Lorsque son émissaire arriva à Médine apporter au calife la bonne nouvelle, ’Abû Bakr était très malade.

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IV – La Mort d’un commis de Dieu – L’annonce de la victoire de Khâlid soulagea le calife. Au seuil du trépas, il se remémora le chemin parcouru depuis que, jeune marchand d’étoffes répondant au nom d’Ibn Abî Quhâfa, un moine nommé Bahîrâ avait interprété un de ses rêves, alors qu’il était en Syrie pour ses affaires : un prophète sortira de ta tribu et tu seras son ministre et son successeur. A son retour, apprenant que son ami Muhammad venait de se proclamer prophète, il lui demanda de le lui prouver. Muhammad lui répondit : ma preuve c’est le rêve que tu as fait en Syrie ! Depuis, le jeune homme partagea toutes les épreuves et tous les triomphes de son maître. Il accepta les humiliations et les périls jusqu’à ce que l’islam devienne une religion respectée et crainte. En donnant en mariage au Prophète sa fille vierge, il devint Abû Bakr, le père de la pucelle. Enfin, pendant les deux ans qu’il passa au poste de calife, il parvint à doter l’islam d’un État stable, puissant, disposant de structures administratives efficace. Il était aussi conscient de ses erreurs. Il confia à sa fille Aïcha, qui l’assista dans ses derniers moments, ses regrets, à commencer par celui d’avoir accepté la mission de calife.

Cet homme intelligent, à la fois sensible, modéré et ferme, riche, économe et étranger à l’ostentation est considéré comme le cofondateur de l’islam par la Tradition sunnite.

Sachant sa mort prochaine, il souhaita rédiger son testament. Le Prophète en avait été empêché par ‘Umar et il voulait épargner aux musulmans une lutte fratricide telle que celle qui avait suivi la mort de Muhammad. Sa décision était claire : ‘Umar serait le deuxième calife.

Le lundi 23 août 634, à l’âge de soixante-trois ans, Abû Bakr mourut et fut enterré dans la nuit, selon son souhait, au côté du Prophète, dans la maison d’Aïcha.

Dès le lendemain, ‘Umar, ravi de son nouveau statut de calife fit un discours à la mosquée en concluant par : les Arabes sont comme les chameaux qui doivent suivre leur maître. Et moi, je jure par le Dieu de la Ka‘ba que je saurai vous mettre au pas. Sa première décision fut de limoger Khâlid ibn al-Walîd de son poste de général en chef et de le privé de la moitié de sa fortune. Il avait été indigné par sa cruauté et nourrissait une sourde jalousie pour ce stratège qui prenait des libertés inadmissibles à ses yeux. Puis, passant devant la maison d’Abû Bakr dans laquelle les femmes pleuraient le défunt, celui qui se ferait désormais appeler le commandeur des croyants fut dérangé par les cris. Il fit sortir la sœur du premier Calife et, pour la faire taire, lui donna un coup de la cravache qui ne le quittait plus. Le ton était donné.

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