Commentaire de lecture de Destin Français – Eric Zemmour

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Vers Destin Français de Eric Zemmour

L’enseignement actuel de l’histoire de France ne permet pas aux élèves puis aux citoyens qu’ils deviennent de disposer d’un récit chronologique et cohérent sur la construction du pays dans lequel ils vivent. Cette immense lacune laisse la place libre pour tous les catéchismes. En présentant les faits de façon tronquée, désireux de juger et non de comprendre, certains décrivent l’histoire de France comme une longue suite de crimes qu’il faudrait désormais expier dans le repentir. Dans une position diamétralement opposée, Éric Zemmour poursuit dans Destin Français un double objectif. Tout d’abord il veut faire prendre conscience d’elle-même à une France qui aurait perdu le sens de la grandeur, victime de l’idéologie universaliste qui, en quelques décennies, aurait transformé en honte la fierté que les français tiraient jadis de leur histoire. Ensuite, en faisant sienne la phrase de Tocqueville Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres, il propose une relecture de certains événements historiques afin d’en tirer des leçons pour relever les défis d’aujourd’hui.

Voilà pour la théorie, les généralités qui peuvent aider à ranger l’ouvrage dans la bibliothèque. Sur le fond, le texte mérite quelques commentaires portant sur la façon de présenter les événements ainsi que sur les conclusions qu’il en tire.

Destin Français, un catéchisme patriotique

Tout d’abord, il faut reconnaître qu’Éric Zemmour n’avance pas masqué. Dès l’introduction, il se définit comme un français de rituel juif et de culture catholique. Bien que ne croyant pas aux dogmes de l’Église, il est attaché au culte et à la pompe du catholicisme qui a fondé la France, rejetant le christianisme qui dilue les nations dans l’amour inconditionnel d’autrui. Il se place explicitement à l’opposé de Simone Weil qui, née juive, se sentait chrétienne par attachement au message d’amour universel du Christ mais reprochait au catholicisme de séparer les hommes. Qu’importe donc l’ivresse mystique pourvu qu’on ait le flacon national. Ce passage de l’introduction donne clairement le point de vue à partir duquel le livre est écrit. Son auteur ne s’en écartera pas.

Sur la forme, remarquons que le livre est écrit au présent de l’indicatif. Le doute n’y a pas sa place. De Clovis à nos jours, 1500 ans d’histoire, sans une hésitation ! Alors que des historiens passent leur vie à étudier un événement, une époque, un mouvement, les Croisades, la Renaissance, les Guerres de Religions, la Guerre d’Algérie… Éric Zemmour parle de tout avec assurance. Il ne prétend certes pas avoir été lui-même à la recherche ni au contact des archives. Il a lu, énormément lu les historiens. Mais pas une fois il ne nous présente deux hypothèses possibles, deux points de vue acceptables bien que différents. Pour choisir les versions, fidèle au point de vue défini dans l’introduction, une seule règle : redonner sa grandeur à la France. Les croisades ont été une boucherie organisée par une religion d’amour ? Remercions plutôt Urbain II d’avoir permis aux nations d’Europe occidentale de s’établir. La Saint Barthélémy et le siège de La Rochelle ont été des meurtres de masse commis au nom de la religion catholique ? Ni Catherine ni le Cardinal n’avaient rien contre la religion huguenote, mais ils ne pouvaient faire autrement que de s’opposer par la force aux ambitions politiques des Protestants. Victor Hugo fut un grand écrivain engagé, militant précoce et emblématique de l’abolition de la peine de mort ? Il utilisa son génie dans le dernier jour d’un condamné pour inverser les valeurs, faisant passer le criminel pour une victime de la société dont la vraie victime serait complice.

Le choix des événements répond au même parti pris : redonner sa grandeur à la France. Ainsi, tout au long du livre, les personnages antisémites sont absous, innocentés ou passés sous silence. Saint Louis aurait persécuté les Juifs de son temps parce qu’il voulait être l’héritier de leurs ancêtres de l’Ancien Testament. Pétain aurait sacrifié les Juifs étrangers pour protéger les Juifs français. L’Affaire Dreyfus est à peine évoquée en évitant de traiter le déchaînement d’antisémitisme qu’elle a suscité. Enfin, Maurras est convoqué pour ses idées politiques, pas pour son antisémitisme qu’il parait pourtant difficile de séparer. Il est clair qu’Éric Zemmour a sciemment édulcoré l’histoire du rapport entre le catholicisme et le judaïsme en France qu’il traite presque comme une querelle d’amoureux, rien de bien grave.

Éric Zemmour a atteint son premier objectif : produire un catéchisme patriotique constitué d’épisodes choisis de l’histoire de France, présentés de façon à ce que les français puissent être fiers de leur passé, de leur patrie et de la religion catholique qui lui est associée. L’objectivité aurait compromis son entreprise. Il ne s’en est donc pas embarrassé.

Qu’en est-il des enseignements que l’ouvrage tente de tirer de ces épisodes. D’une façon générale, Éric Zemmour plaide pour un État fort, fier de son histoire et de sa culture catholique, ayant renoncé au mirage de l’universalisme, sachant affirmer sa souveraineté politique face aux autres nations et notamment à l’Allemagne, n’hésitant pas à manier le protectionnisme, faisant appliquer sans faillir la justice sur son sol et combattant l’influence de l’Islam afin de ne pas devoir conduire une nouvelle guerre de religion.

Mais pendant combien de temps ces questions se poseront-elles ? Leur résolution donnera-t-elle à la France un avenir ? Assurément non. Les questions les plus cruciales ne sont jamais abordées par Éric Zemmour.

En premier lieu celle du réchauffement climatique et de ses conséquences. Les États nations forts, fiers de leur identité et de leur religion sont-ils en mesure de limiter les dégâts ? Faut-il un État mondial ou une autorité planétaire pour traiter ce problème ? L’économie de marché a-t-elle un avenir ? Est-il préférable de lutter contre la hausse du mercure ou de consacrer tous nos efforts à s’y préparer sans tenter de la ralentir ? Autant de questions sur lesquelles Éric Zemmour reste muet.

Le changement climatique va provoquer des mouvements de populations sans précédents. Comment se préparer à l’accueil des centaines de millions voire des milliards de réfugiés climatiques, fuyant leurs terres surpeuplées devenues inhabitables pour des régions plus tempérées comme l’Europe. Ces nouveaux migrants seront vraisemblablement convaincus de venir réclamer leur dû aux pays développés qu’ils ont décidé de rejoindre. Les denrées agricoles seront-elles suffisantes ? Des guerres et des famines sont-elles à craindre ? Comment les éviter ? Silence.

Le sujet de la prolifération des armes nucléaires est également absent de l’ouvrage. Comment, dans un contexte d’extrêmes tensions liées à l’impossibilité d’habiter une partie importante de la planète peut-on exclure que tel ou tel pays ou groupuscule ait recours à l’arme atomique qu’il se sera procuré sans peine ? Pas un mot.

Enfin, l’émergence des nouvelles technologies n’est pas non plus abordée. Pourtant, dans les décennies prochaines, elles vont transformer notre monde. Se riant des frontières et des cultures elles pourraient bien réduire des milliards d’êtres humains au rang de bouches à nourrir improductives ou permettre de transformer les corps en entités hybrides dotés de pouvoir décuplés.

Il est peu probable que les réponses à ces problèmes majeurs puissent être déduites des Croisades, des Guerres de Religions ou de l’héritage des grands monarques. La situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’humanité est radicalement inédite. Éric Zemmour, tel l’orchestre du Titanic, tente avec talent de faire vivre le plus longtemps possible un monde condamné. L’auteur est un nostalgique comme il le confesse : Je vis toujours en 1800, même après avoir quitté les rives de l’enfance. Mais la nostalgie le conduit à la cécité.

Si l’on en croit Destin Français, le déclin de la France n’est pas inéluctable. Les problèmes qui se posent à elles se sont, à peu de chose près, déjà posés quelques siècles plus tôt et elle a su les surmonter sans trembler, grâce à l’assurance que lui ont donné la religion catholique et la fierté de son identité. Il suffirait donc de s’inspirer du passé pour redonner au pays sa grandeur perdue. Au-delà du manque de rigueur historique que traduit la longue affirmation qui constitue le texte, l’ouvrage passe sous silence les défis écologiques et technologiques qui s’annoncent et pour lesquelles les leçons de l’histoire sont inopérantes, la simple notion d’État nation risquant à court terme de disparaitre. Éric Zemmour n’a pas voulu voir que la belle phrase de Tocqueville qu’il site en introduction de son ouvrage avait changé de sens : Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. Hier, elle était une invitation à connaître l’histoire pour avancer d’un pas plus sûr. Aujourd’hui, elle avertit l’humanité qu’elle se dirige vers l’inconnu. 

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